Après des années de vagabondages hasardeux au gré du marché et autres aventuriers traders, les primesautières banques françaises ont décidé de revenir aux fondamentaux. Surtout celles qui ont le plus souffert, à l’instar du Crédit agricole. Vive la crise !
La crise bancaire est derrière nous : c’est du moins le message officiel du moment. Les banques du monde entier ont perdu à ce jour 350 milliards de dollars. L’essentiel des pertes va être assumé par les actionnaires, même si pour l’instant, les banques centrales font le relais en prêtant abondamment. Dire que c’est terminé est hâtif dans la mesure où, selon l’OCDE, on pourrait atteindre in fine 600 milliards de pertes. En fait, personne ne sait quelle sera l’ardoise finale, car elle dépend de l’évolution de la valeur des crédits des banques, c’est-à-dire de la capacité des emprunteurs à honorer leurs engagements.
En France, la banque qui souffre le plus est le Crédit agricole. Gérée normalement en « bon père de famille » par le monde paysan, cette banque a voulu jouer dans la cour des grands du capitalisme financier. Elle a racheté à prix d’or le Crédit lyonnais et a engagé, à l’instar de la Société générale, des as de la finance. Seulement, ces as de la finance, à grands renforts de calcul des probabilités, ont multiplié les risques et les astuces pour les faire assumer par d’autres. Grosso modo, au Crédit agricole comme dans l’ensemble des banques, on a fait confiance aux mathématiciens, le banquier est devenu de plus en plus polytechnicien et de moins en moins technicien.
Cela a fait tourner les fonds et les têtes, et conduit les dirigeants des banques à oublier leur métier fondamental : prendre des risques, en prêtant à des gens qui créent des entreprises, et non en prêtant à d’habiles spéculateurs qui cherchent à gruger d’autres spéculateurs tout aussi habiles qu’eux. Les bénéfices passés étaient fabuleux mais fictifs, car derrière, il n’y avait pas de véritable travail, de véritable création de valeur. Aujourd’hui, la crise vient reprendre ce que les années précédentes avaient artificiellement donné, sauf que cette reprise ne se fera pas de façon proportionnelle aux bénéfices antérieurs.
Au Crédit agricole, on commence à comprendre, et on va faire appel aux actionnaires à hauteur de 6 milliards d’euros. Au passage, on met, à la tête du Crédit Lyonnais, Patrick Valroff. Énarque bon teint, qui n’a aucune connaissance des modèles mathématiques qui firent les beaux jours des années 2000. Il arrive avec la réputation de quelqu’un de sérieux et d’austère qui va faire des économies dans la vie quotidienne de l’institution.
Comme partout : les bonus mirobolants, c’est fini. Ceux qui en ont abondamment profité vont chercher ailleurs de quoi organiser de nouveau les magiques transferts que permettent la spéculation. Hier, on appelait cela de la finance de haut niveau, aujourd’hui, on parle de secteur à risques dont les institutions bancaires doivent en partie se défaire. Dans les années 1960, on appelait cela du tertiaire supérieur, au XIXe siècle, on parlait plus simplement d’escroquerie. Au Crédit agricole, ce qui reste de bon sens paysan parle comme au XIXe siècle, et les dirigeants annoncent leur intention de recentrer leur activité sur les prêts à l’agriculture, qui restent le fonds de commerce obligé de la maison, et de réduire les activités de « hedge funds », « private equity », « Lbo », tout un tas de sigles que l’actionnaire de base ne comprend pas, et pour lequel néanmoins il va devoir payer…
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