Pour la rentrée, la rédaction de « Bakchich » a proposé à BHV d’aller découvrir la Seine Saint-Denis. Le philosophe a accepté. Voici le texte qu’il nous a envoyés.
Je suis au poste frontière de Montreuil Nord. La ville, lors des dernières municipales, a été libérée du stalinien local par mon amie Dominique Voynet, verte, libérale, moderne. Je vais entrer dans le neuf-trois, comme on dit. Ce pauvre département qui a fait sécession depuis tellement d’années, sous l’influence des vents mauvais conjugués du communisme municipal et de l’islamisme galopant : goulags des MJC et mosquées intégristes. Comment ne pas songer à ma pauvre Bosnie, à mon pauvre Kosovo, à ma pauvre Géorgie…
Et pourtant, nous sommes à peine à quelques kilomètres du ministère de la Rue de Grenelle, dans la limousine blindée de Xavier Darcos.
Cet humaniste délicat, au bon regard de latiniste, est ministre de l’Education nationale, c’est-à-dire qu’il veut sauver une institution démocratique contre tout ce qui la menace : syndicats d’enseignants qui ne m’ont jamais lu, ni moi ni Soljenitsyne, islamisme des caves, rappeurs obscènes qui méprisent les femmes dans des textes dont les scansions barbares me rappellent le bruit du canon tonnant sur Sarajevo, lecteurs de Pierre Bourdieu, journalistes de L’Humanité.
Quand j’ai vu ce matin, dans la cour du ministère, Xavier avec son gilet pare-balles, j’ai songé évidemment à tous ces hommes de culture obligés de faire la guerre malgré eux : mes amis Izetbegovic et Saakachvili, ou Georges Bush annonçant sur un porte-avions la victoire contre les sadamites, sans compter ces héroïques colonels de la sécurité algérienne, eux aussi en lutte contre ce fascisme coranique qui, maintenant, est aux portes de Paris. L’homme d’état, poète et doux, en gilet pare balles, voilà l’image emblématique de ce XXIe siècle commençant.
Xavier veut assister à la rentrée des classes du Lycée Marceau-Pivert du Petit-Gagny.
« - Je dois être là où tout se joue, vous comprenez Bernard ? »
Nous arrivons à Marceau-Pivert. Ce qui me frappe, outre l’architecture qui sent son mauvais Oscar Niemeyer, c’est l’absence totale d’élèves blancs, ou alors cachés par les capuches de ces étranges vêtements qu’on appelle par ici des sweat-shirts.
Épuration ethnique rampante, les Mladic locaux sont les dealers surarmés que même la police républicaine craint malgré son courage. On sent l’odeur de la marie-jeanne partout. Nous entrons dans la cour sous la protection des CRS. Le proviseur, épuisé, salue le ministre et me gratifie d’un « Bonjour, Monsieur Gluksmann ». Je lui pardonne. Son lycée fut un des foyers des émeutes de 2005, ces putschs barbares contre les institutions de la République. Nicolas Sarkozy me disait encore, il y a quelques jours, alors que je rendais compte de mon voyage en Géorgie, qu’il n’avait vraiment eu peur qu’à deux moments dans sa vie : lors des purges chiraquiennes de 95 et dix ans plus tard, lors de ces émeutes meurtrières manipulées par les antennes locales d’Al Qaïda alliées cyniquement aux hiérarques thoréziens de ce département, véritable RDA au nord-est de Paris.
En traversant la cour, je croise d’autres élèves, « Terminale pro, chaudronnerie et citoyenneté », me souffle le proviseur comme s’il avait peur. Ils font tous deux mètres, sont souvent noirs comme des génocidaires Hutus et nous lancent des regards de haine. Cette haine qui est celle de tous les fanatismes.
Nous sommes dans le bureau du proviseur, des sacs de sables protègent les baies vitrées. Une secrétaire lui apporte un dossier qu’il ouvre devant nous. Il s’adresse à Xavier : « Grâce à vos courageuses réformes, nous pouvons travailler avec un personnel plus réduit et plus motivé. J’ai une moyenne de soixante élèves par classe. » Je songe aux amphithéâtres bondés de ma jeunesse. Quelle chance ont ces lycéens, en comparaison ! Leur nihilisme, car c’est bien de l’éternel nihilisme qu’il est question ici à moins de dix kilomètres de la Closerie des Lilas, est impardonnable. Nous repartons. « Au revoir, monsieur le ministre, au revoir Monsieur Sollers. »
Pauvre homme, égaré dans la tourmente. Je le sais maintenant : les barbares sont à nos portes.
MDR ou ^^ ou lol
Article criant de vérité !!!!!