Englué dans des affaires de corruption, le Premier ministre Ehud Olmert démissionnera après que le résultat des élections primaires internes à son parti Kadima, organisées le 17 septembre, soit connu. Du nom du vainqueur, dépend la formation d’un futur gouvernement de coalition. L’arbitre est un parti d’ultra-religieux, Shass.
La fin du règne du Premier ministre israélien a de facto été actée le 7 septembre lorsque la police a annoncé qu’elle recommandera aux procureurs d’inculper Ehud Olmert pour des méfaits divers et variés : fraude, corruption active, pots-de-vin, abus de confiance… Trois jours plus tard, Olmert a lui-même prévenu qu’il démissionnerait de son poste sitôt les résultats des primaires internes à son parti Kadima connus. Ce scrutin interne a lieu le mercredi 17 septembre. Il appartiendra donc à son successeur à la tête de cette formation politique de tenter de former un nouveau gouvernement.
Mais dans les partis politiques israéliens rien n’est jamais simple, d’autant que la corruption rôde souvent dans les parages. Le 15 septembre, le ministère de la Justice a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire pour fraude et manipulation des listes électorales des membres de Kadima. Ce parti a connu une croissance exponentielle du nombre de ses adhérents, passé de 33 000 à 74 000 pendant la campagne de la primaire. Chacun des quatre candidats à la succession d’Olmert essaie de gonfler les listes avec des nouveaux adhérents qui voteront pour lui. Or, selon la loi israélienne, il est interdit d’appartenir à deux partis en même temps et le greffier des listes électorales a trouvé à ce jour 3 691 noms de nouveaux membres de Kadima déjà inscrits au Likoud de Benjamin Netanyahu. Mais il y en a peut-être plus… Les enquêteurs examinent par ailleurs si des personnes n’ont pas été enrôlées dans Kadima (il faut débourser 11,3 euros) à leur insu pour que leurs voix soient utilisées par d’autres.
Si fraude il y a, celle-ci n’est pas anodine. Les adhérents de Kadima entretenant des liens avec le Likoud sont considérés comme beaucoup plus favorables au ministre des Transports, Shaul Mofaz. Ce « faucon » fait figure de principal opposant à la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, pour s’emparer du leadership de Kadima. D’un côté, tous les sondages montrent qu’en cas de législatives anticipées Livni est celle qui permettra au parti de réaliser le meilleur score. De l’autre, Mofaz a sillonné le pays pour faire campagne sur le terrain pendant que Livni était à l’étranger ou occupée au gouvernement. Mofaz est également soutenu par de vieux routiers de la politique d’appareils et par de puissants chefs locaux de Kadima, surtout dans le nord du pays.
Ces atouts sont censés lui conférer un avantage considérable tant dans l’appareil du parti que dans l’enrôlement de nouveau membres en vue de la primaire. En outre, au sein de Kadima, les syndicats et autres associations ouvrières affiliées qui soutiennent Mofaz et qui représentaient près de la moitié du parti jusqu’à l’arrivée soudaine des nouveaux adhérents devraient renforcer le ministre des Transports. Les règles internes au parti veulent en effet que lorsqu’un syndicat vote pour un candidat, ce dernier gagne autant de voix qu’il y a d’adhérents appartenant au syndicat en question chez Kadima. Mofaz lui-même a d’ailleurs prédit, sur la base d’une étude approfondie dirigée par son conseiller américain, le sondeur et stratège républicain Arthur Finkelstein, qu’il gagnera la primaire avec précisément 43,7 % des voix au premier tour. Il suffit d’avoir 40 % pour l’emporter.
Il faut reconnaître que Kadima n’est pas un parti comme les autres. Formé à la fin 2005 par le Premier ministre d’alors, Ariel Sharon, (toujours dans le coma depuis un accident cérébral en janvier 2006) et des sécessionnistes du Likoud, il s’est étoffé plus tard avec de nouveaux membres issus de l’aile droite du parti Travailliste (notamment l’actuel président d’Israël Shimon Pérès et d’une cohorte d’anciens ministres et maires en exercice) ainsi que par des membres d’autres partis. Kadima a toujours été essentiellement une formation d’élus opportunistes sans idéologie identifiée et sans un électorat réellement loyal et stable. Nombreux sont ceux qui ont même adhéré uniquement parce qu’ils travaillent pour un des ministères détenus par Kadima, pour conserver leur job ou obtenir de l’avancement. Comme l’a écrit cette semaine l’influent chroniqueur Nahum Barnea dans le quotidien Yedioth Ahronoth, il serait « surpris » si ne serait-ce qu’une moitié des nouveaux adhérents de Kadima enrôlés pour la primaire votent pour ce parti lors des prochaines élections législatives dont la date n’est pas fixée mais dont tout le monde s’accorde à dire qu’elles devraient avoir lieu de façon anticipée en mars 2009.
Les négociations pour former un nouveau gouvernement ont débuté sans attendre la primaire de Kadima et Mofaz a déjà eu, la semaine dernière, des tête-à-tête avec le leader du Shass, un parti religieux composé de Juifs orthodoxes. Le nouveau pouvoir sera en effet obligatoirement un gouvernement de coalition comme le gouvernement actuel d’Ehud Olmert puisque Kadima ne dispose que de 29 sièges à la Knesset, le Parlement israélien, où 61 sièges sont requis pour former une majorité. Si le parti Travailliste est considéré comme partant pour un nouveau gouvernement sans passer par des législatives anticipées (son leader Ehud Barak n’arrive qu’en troisième voire en cinquième place dans les sondages les plus récents et ne veut pas se présenter devant les électeurs dans l’immédiat par peur d’une défaite cinglante, on ne peut pas en dire autant du Shass. Ce dernier appartient déjà au gouvernement Olmert. Et, avec ses 12 sièges à la Knesset, peut faire pencher la balance en faveur ou non de la constitution d’un nouveau gouvernement par le successeur d’Olmert.
Ainsi, le succès d’un nouveau gouvernement de coalition sous Kadima pourrait dépendre du sort d’un seul homme : Aryeh Deri, l’ancien chef du Shass qui n’est franchement pas un monsieur propre de la politique, comme le racontait Bakchich. Il a passé trois années derrière les barreaux pour corruption, fraude et abus de confiance à partir de 1999. Mais le 9 septembre, il a annoncé son come-back et s’est déclaré candidat à la mairie de Jérusalem !
Pourtant, selon la loi, tout politique coupable de crimes de « turpitude morale » n’a pas le droit de se présenter pendant sept ans à compter de sa sortie de prison (Deri est libre depuis 2002). Il appartient donc à la Haute-Cour de Justice ou au président israélien Shimon Pérès (par l’intermédiaire d’une grâce présidentielle), de décider maintenant si Deri pourra être candidat avant juillet 2009, date à laquelle son inéligibilité prend fin. Mais du coup, le leader actuel de Shass, Eli Yishai, qui se sent menacé par le retour de Deri, pourrait bien provoquer des élections législatives anticipées en mars 2009 pour tenter d’empêcher Deri de se présenter à la Knesset et ainsi éliminer un rival dans la course au leadership de Shass…
Dans le cas de figure où Tzipi Livni remporte la primaire de Kadima, elle aura plus de difficultés à former un gouvernement de coalition que son rival Shaul Mofaz. Encore et toujours à cause du Shass. Comme l’a rapporté le Jérusalem Post du 11 septembre, son leader « Yishai préfère provoquer des élections plutôt que d’entrer dans un gouvernement qui n’est pas prêt à augmenter l’aide sociale aux enfants ». Il s’agit là d’une question clé pour les Juifs orthodoxes et leurs familles nombreuses. Or Livni est supposée être contre ce geste. Le leader du Shass a également déclaré qu’il ne participerait jamais à un gouvernement qui négociera le statut de la « ville sainte » de Jérusalem. Mais Livni a d’ores et déjà décrété qu’elle entendait poursuivre les négociations avec les Palestiniens. Des négociations dont le statut de Jérusalem est l’ultime étape… Son rival Mofaz, prône, lui, la ligne dure dans le dossier « Jérusalem » ainsi qu’une hausse des allocations pour les enfants. Il est donc bien plus apte à former un gouvernement de coalition avec Shass et les autres partis de la droite religieuse ultra-orthodoxe, peu désireux d’avoir une femme comme premier ministre.
Entre « l’effet Deri » et les exigences du Shass, la perspective d’un éventuel gouvernement de coalition dirigé par Tzipi Livni n’est pas franchement rose. D’autant que son équipe a fait savoir qu’en cas de défaite elle pourrait quitter Kadima et former son propre parti. Quant à Mofaz, s’il n’est pas élu, il risque de partir avec armes, bagages et supporters rejoindre le Likoud de Benjamin Netanyahu avec lequel il a conclu un accord. Le décompte des voix dans les 114 bureaux de vote de Kadima pour la primaire et le nom du nouveau leader du parti ne sera pas connu avant le 17 septembre tard dans la nuit. A suivre donc.
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