Phénomène unique, « l’alya », le retour des Juifs de diaspora en Israël est un phénomène connu. Le retour du retour, la « yerida », l’est moins. Quelque part entre la France et Israël, Bakchich propose une visite dans les couloirs d’une identité en mouvement.
Ils ne sont, paraît-il, pas nombreux. 3% des Juifs français partis en Israël reviendraient en France selon l’Agence juive [1] . Son directeur, Amir Lapid, souligne qu’« ils étaient 30%, il y a dix ans ». Mais où sont-ils passés ? L’évolution serait dûe aux « efforts fournis par l’Agence afin de mieux encadrer les immigrants ». Toutes les personnes interviewées par Bakchich remettent en cause ce rôle d’accompagnateur. Yael Elbaz, 34 ans, israélienne depuis quatre ans, contredit : « Sur place, ils n’ont rien fait pour moi ni pour les autres, ils vous attirent puis vous laissent ensuite vous débrouiller ». Soucieux de leur image et de celle d’Israël, ils n’ont pas intérêt à mettre en péril, de quelque manière que ce soit, la politique israélienne d’immigration, guerre démographique oblige. En 2005, l’Agence juive remettait en cause l’impossibilité de faire des statistiques sur le sujet, les Français devenant Israéliens, ils ne pouvaient plus êtres comptabilisés par leurs services… La donne aurait apparemment changé.
Admettre les échecs de l’alya, « la montée » en hébreu, reste encore quelque chose de tabou. Comparable au rêve américain, la mythologie du pays s’articule autour de la réussite et de la victoire. Échouer c’est « redescendre », « yerida » en hébreu [2]. D’un autre côté, les « redescendus » d’Israël admettent tous une possible remontée… « Je ne pourrais pas vivre sans Israël. Même si je vis loin, son existence me rassure. C’est un peu comme habiter près de la mer. Même si on n’y va pas tout le temps, on sait qu‘elle est là, ça rassure… » constate Sandra P., 26 ans, de retour à Paris depuis six mois. Laetitia C., 35 ans, se souvient d’ « un retour en France difficile ». « En perte totale de repères, ma tête était encore là-bas », tant et si bien que Laetitia est repartie, une formation informatique en poche et prête à affronter le marché israélien.
Le travail est l’un des facteurs majeurs d’intégration ou justement d’exclusion. Le modèle économique de plus en plus libéral offre une compétition acharnée. L’apprentissage de la langue est une première barrière mais pas seulement. Sandra, 26 ans, n’a pu trouver de travail compatible à son niveau d’études. Enchaînant les petits boulots, « moins bien payés qu’en France », elle cède à la tentation du retour en France quand sa famille la presse de revenir. La guerre au Liban a jeté un nouveau froid sur les perspectives. Résidente à Netanya, Sandra entendait les bombes qui tombaient non loin, elle avoue avoir eu « peur », « ça a certainement joué sur ma décision. » Paradoxalement, si la sécurité du pays est périlleuse aux abords des frontières ; à l’intérieur, la sécurité est entière. Yael lance fièrement : « En Israël, quand t’es une fille, tu peux marcher la tête haute, tu ne seras jamais embêtée ».
Tous soulignent les bons côtés du pays. Contact facile, solidarité, soleil quasi-permanent autant que les fêtes en bord de plage… Pour les Parisiens lassés du métro-boulot-dodo et des pluies estivales… On comprend la nostalgie. Il existe aussi un danger rappelle Laetitia, « les programmes d’apprentissage de l’hébreu dans les kibboutz ne donnent pas vraiment l’image réelle du pays. Après un an de colonie de vacances tous frais payés, on sort et la réalité en décourage plus d’un. » Le pays agit comme un aimant, l’histoire vous attrappe à chaque coin de rue et le mélange des gens et des genres créent la particularité israélienne. Dans ces conditions, la France ne manque pas. Pas de manque du pays même si Yael admet que la différence culturelle est pesante en Israël. Déplorant « le manque d’éducation des Israéliens », elle se dit « outrée » par « les filles qui draguent ton mec devant toi ». « C’est vrai », admet Laetitia que les Israéliens sont un peu « bruts de décoffrage » mais justement ils sont « directs », « ça change de la France ». « Ici les Français ont la réputation, ajoute-t-elle, d’être susceptibles, maniérés et de s’excuser tout le temps, l’inverse des Israéliens ! » Chargée donc de préciosité, une active communauté française existe en Israël. Les centres culturels français foisonnent grâce au million de francophones israéliens [3] mais Israël n’est toujours pas rentrée dans le cercle très fermé des pays de la francophonie… Politique arabe oblige ! [4]
2 556 français ont émigré vers Israël en 2006 [5]. La grande majorité pose définitivement leurs valises. Plus on est âgé, plus on prépare son voyage. Quand on est jeune, l’alya peut rester à l’état d’aventure, mais n’exclut pas pour autant un retour futur mieux préparé. La nouvelle tendance est aujourd’hui dans le 50/50. Armand Kahn passe la moitié de son temps en Israël et l’autre en France. « De quoi devenir skizo » avoue ce jeune financier. Il précise « la double identité doit se gérer au niveau culturel et social car on ne peut renier subitement ses origines, ses bases et puis s’intégrer dans la société israélienne prend du temps avec les barrières sociales, linguistiques… C’est pour cela que nous sommes obligés de jouer sur les deux tableaux et de trouver un juste équilibre entre deux pays très différents mais passionnants, chacun à sa manière. »
[1] structure officielle chargée de faire le lien entre les Juifs de diaspora et Israël. Leur principale activité est d’organiser les alyas
[2] au sens figuré, faire une yerida, c’est faire plaisir avec sa bouche…
[3] 500 000 Marocains sont arrivés en Israël après l’indépendance du protectorat en 1956
[4] l’Egype en fait partie avec 2% de francophones contre 20% pour Israêl
[5] chiffres de l’Office central de statistiques à Jérusalem