Sérieusement, y a-t-il quelque chose au-dessus de la vie ? Les services rendus par la nature ne sauraient être remplacés.
C’est tellement grotesque que j’essaie d’en rire, tant bien que mal. Au moment où j’écris ces quelques mots, la conférence mondiale sur la biodiversité de Nagoya, au Japon, n’est pas achevée. Peut-être se terminera-t-elle sur une farce destinée aux caméras, un accord a minima qui repoussera comme de juste les actes à l’an 3000, quand nous serons tous morts. Retenez en tout cas que nous vivons la sixième crise connue d’extinction des espèces. La dernière, il y a 65 millions d’années, a entraîné la disparition des dinosaures. Celle de notre temps, provoquée directement par les activités humaines et la cupidité qui les accompagne, serait 10 à 100 fois plus rapide que la pire du si vieux passé de la Terre. Tous les grands biologistes sont d’accord sur le constat.
Il ne faut donc plus parler d’urgence, car il s’agit sans détour d’un hallali. En bonne logique humaine, si notre comportement d’espèce n’était pas totalement irrationnel, aucune politique ne pourrait plus être décidée sans mettre au premier plan la défense inconditionnelle des formes de vie encore présentes. Sérieusement, y a-t-il quelque chose au-dessus de la vie ? De ce foisonnement de la vie qui a permis l’éclosion de l’aventure humaine ?
À Nagoya, pourtant, aucun souffle ne se sera manifesté. Mais la tendance lourde, plus qu’inquiétante, est de tenter de donner un prix aux services que la nature nous offre gratuitement. En 1997, l’universitaire américain Robert Costanza avait publié dans la revue Nature une étude tout à fait inédite. Selon lui et ses collègues, les écosystèmes de notre planète – l’eau par exemple, ou le bois, ou les sols – offraient chaque année 24 000 milliards d’euros de biens essentiels à notre survie. À rapprocher des 19 500 milliards d’euros, à la même époque, du produit intérieur brut mondial.
N’est-il pas absurde de penser de la sorte ? Les services rendus par la nature ne sauraient être remplacés. Dès lors, que signifie la funeste idée de leur accorder un prix ? Notre monde malade préfère les équations aux solutions. À Nagoya, ces derniers jours, on aura beaucoup discuté de l’intérêt de fixer un prix à la biodiversité. À en croire les économistes, ce serait la seule manière de sauver la nature. La changer en une marchandise, la vendre et l’acheter, lui accorder enfin une valeur monétaire. Ceux qui ont bâti le monde actuel, ceux qui ont pensé la financiarisation de toutes les activités humaines, ceux qui nous ont menés au gouffre s’attaquent maintenant au bien commun le plus essentiel. Franchement, le vol d’une libellule, combien ?