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Une histoire du Musée de l’immigration

Tribune / mercredi 10 octobre 2007
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A l’occasion de l’ouverture du Musée de l’immigration hier, Bakchich ouvre ses colonnes à Ahmed Boubeker, universitaire spécialiste des question d’immigration et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet.

La mission est clairement énoncée : contribuer à la reconnaissance des parcours d’intégration pour servir la cohésion sociale et républicaine de la France. Le projet apparaît tout aussi transparent : faire de l’histoire des populations immigrées une partie intégrante de l’Histoire de France. Et par la grâce d’une seule formule enfin – « leur histoire est notre histoire » - la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration semble rendre justice aux cohortes de bras ramasseurs de poubelles, chair à canon, damnés de la terre ou de l’usine et autres métèques oubliés du grand roman national. Qui viendrait s’en plaindre sans encourir le soupçon de cultiver la nostalgie de quelque généalogie blanche aux relents xénophobes ? Et pourtant…

Pourtant cette muséification de l’immigration est-elle une vraie reconnaissance ? A l’heure où plus que jamais la République fantasme ses métèques et autres enfants illégitimes, on peut en douter. Il fût un temps où l’on disait : « Le Pen dit tout haut ce que les Français pensent tout bas. » Sarkozy quant à lui est passé du dire au faire. Après son énième verrouillage juridique des frontières, son ministère de l’immigration et de l’identité nationale, sa bio-traçabilité des étrangers, il met en place un institut chargé de caporaliser la recherche sur l’immigration. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre dès lors que l’intitulé même du ministère Hortefeu nous prépare à une histoire de l’immigration sous tutelle, une histoire dépouillée de toute part d’ambiguité pouvant remettre en cause l’institution des certitudes identitaires.

La patrimonialisation de l’immigration, c’est comme les grandes messes interculturelles - des concerts de SOS racisme à l’hymne national entonné en choeur par la France black blanc beur championne de la planète foot – ça doit permettre de rehausser le prestige de la nation ! L’histoire colonisée par la nostalgie de grandeur de l’exception française viendrait ainsi à la rescousse de l’actualité d’un déclin du modèle républicain, avec des généalogies immigrées réintégrées à titre posthume à la gloire sans éclipse du creuset français. L’exil, la souffrance et la persécution de générations de miséreux proscrits de l’Histoire de France pourraient contribuer désormais au prestige de l’Etat. Qu’importe l’expérience de l’histoire des acteurs immigrés ! Au nom de la bonne conscience ou du consensus républicain, la société française s’invente pour son propre usage une image pacifiée de sa dimension multiculturelle. On croyait Sarkozy communautariste, le voilà champion de la défense du modèle national d’intégration, de l’universalité française et de son héritage politique et intellectuel ! On ne contredit pas le génie d’un peuple, n’est-ce-pas ? Même si derrière la vitrine de l’exception française se logent aussi l’exclusion, la relégation hors des grands desseins nationaux.

Célébrer l’unité dans la diversité au nom d’une France éternelle terre d’asile, ça permet sans doute à la République de se peupler de souvenirs et d’ancêtres dont elle n’a jamais soupçonné l’existence. Mais là ou le bât blesse, c’est que cette OPA sur l’histoire pourrait être embriguadée au service des gardes frontières d’un pays qui ne peut plus accueillir toute la misèrte du monde : on a déjà donné ! Or, ce que soulignent les luttes historiques de l’immigration, c’est précisément la nécessité d’une révision critique du grand récit national et c’est ce qu’on pourrait attendre d’une cité nationale de l’histoire de l’immigration digne de ce nom. En contre chant des commémorations nationales célébrant la grandeur du modèle français comme une profession d’identité fixée pour jamais, il s’agirait ainsi d’apprendre à raconter autrement l’histoire de France, en fonction d’une ouverture aux récits des « étrangers de l’intérieur » qui contribuent à en renouveler l’interprétation. Au-delà d’une histoire trop souvent assimilée à une légende dorée de l’intégration, il faut considérer plus radicalement que l’immigration est une histoire : une histoire vécue à travers un travail d’exploration et de compréhension d’elle-même, une histoire de luttes pour la reconnaissance. « Leur histoire est notre histoire », proclame la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration. Certes ! Mais encore s’agit-il de comprendre cette formule non pas comme une injonction d’intégration au grand roman national mais plutôt comme une capacité reconnue aux oubliés de l’histoire d’être non seulement des acteurs mais aussi des auteurs de notre propre histoire. Car la reconnaissance, n’est ce pas au final une hospitalité inconditionnelle ? Et cette ouverture des portes de notre propre récit, n’est-ce pas elle seule qui pourrait nous délivrer des affres d’une nostalgie de grandeur et du ressassement de l’identité ? Derrière le débat public sur l’immigration, c’est en effet toujours la question de l’identité française qui est posée. L’importance prise par les immigrés dans les modes d’énonciation de cette identité nationale montre à quel point les frontières sont désormais brouillées, entre l’autre et le même, l’autre devenu même et le même devenu autre, étranger à sa propre histoire. Comme si tout ce que l’exception française avait voulu ignorer de l’immigration révélait précisément ce qu’elle ignorait d’elle-même. Les historiens le répètent à l’envi : les discours publics actuels sur l’immigration se font l’écho d’une rhétorique séculaire et l’argument de la distance culturelle comme barrage à l’intégration a été opposé aux « ritals » hier, comme il l’est aujourd’hui aux arabes. Pour autant, il ne s’agit pas d’en conclure trop vite qu’il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil du creuset français. Car depuis le début des années 80, fait inédit dans les annales, le débat public se cristallise sur des étrangers qui n’en sont plus, sur des citoyens. Dans le cas des jeunes issus de l’immigration maghrébine, la sempiternelle découverte de l’autre n’est plus d’actualité. Enfants de la laïque, ils n’ont jamais été des étrangers à la société française ! Ils sont pourtant porteurs d’une inquiétante étrangéité dans le sens où leur expérience témoigne d’une fragmentation culturelle, sinon ethnique, de la société française. Hier, les immigrés italiens, portugais, espagnols arméniens et polonais sont devenus Français au même titre que les autres Français. Aujourd’hui, la présence de nouvelles immigrations, originaires du sud-est asiatique, de Turquie ou d’Afrique dessine un nouveau visage de la France exotique. Mais qu’importe pour les ragots du café du commerce si les Turcs ou Chinois ne vivent pas comme nous ! Les éternels gêneurs, cloués au pilori de la rumeur médiatique, sont les enfants terribles de l’immigration maghrébine. Malheur à ceux qui dérangent le mode de vie de l’hexagone !

Car ce n’est pas tant la différence radicale qui génère le racisme, que les petites agressions du quotidien contre le train-train franco-français. Les incivilités. Le vandalisme. Mais aussi le refus de rester à une place assignée, dans les poubelles de l’Histoire de France. L’étranger n’est plus celui qui vient d’ailleurs mais celui qui se reproduit en permanence dans le corps social. D’une altérité, l’autre. De l’immigration aux banlieues et autres no man’s lands urbains. Comme une fracture, une déchirure du tissu social. Dédoublement de la société française. Entre citoyens reconnus et citoyens de seconde zone. Français de souche et bâtards de la République. C’est la fin du conflit entre des cultures extérieures l’une à l’autre : l’étranger nous ressemble, il est devenu nous ! Pour le meilleur et pour le pire : n’est ce pas monsieur Sarközy de Nagy-Bocsa ? « Leur histoire est notre histoire » : l’auteur de la formule ne pensait sans doute pas si bien dire !

Ahmed Boubeker, universitaire

Il est notamment l’auteur de Famille de l’intégration : les ritournelles de l’ethnicité en pays jacobin (Stock, 1999) et Les Monde de l’ethnicité. La communauté d’expérience des héritiers de l’immigration maghrébine (Balland, 2001). Il a par ailleurs participé à l’ouvrage collectif, La fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage coloniale (La Découverte, 2005) sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire.


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5 MESSAGES

Forum

  • L’histoire en boîte
    le samedi 13 octobre 2007 à 02:49, MARIAKITA GARCIA a dit :

    Combien de personnes ici fréquentent les musées ? Combien de français connaissent leur histoire ? La vraie !

    On saute les étapes et on cache la vérité. C’est toujours l’histoire du médecin après la mort qui se reproduit…

    Aucune reconnaissance de cette histoire commune, aucun rappel de la contribution des étrangers à la construction de la France.Plus personne ne s’y retrouve.Des haines, des colères et des ressentiments, les préjugés et l’igorance grouillent dans les banlieux et les beaux quartiers. Aujourd’hui en France, c’est l’indifférence qui règne dans les rues.

    Taire le passé, cacher l’histoire afin que tout un chacun retrouve sa place dans le melting Pot qui fait la France, est-ce la solution ? Mettre un pansement sans désinfecter une plaie, à quoi cela servirait-il ?

    Le pays des Lumières, des grands penseurs, des droits de l’homme veut il stagner, refusant de combiner les forces vives ? Pourtant, l’évidence est que : " nous sommes tous originaires de quelque part".

    C’est le musée des larmes, celui des cris et des fins des guerres que nous souhaiterions voir pour bien réaliser que la page est tournée. Plutôt que ce musée, qui ne sera peut-être qu’un symbole de plus. Comme ils n’ont pu mettre l’histoire à plat, ils l’on mise en boîte. Dans un musée ! On se demande si ce musée n’arrive pas un peu prématurément ?

    Pendant qu’il est encore temps, ne serait-il pas préférable de revisez les livres d’histoire, de libérez les populations et les esprits en éruption qui, EUX se mélangent malgré leur histoire d’amour douloureuse.

    MARIAKITA GARCIA

  • Une histoire de la transition vers le musée
    le jeudi 11 octobre 2007 à 14:40, Sylvano de la Selva a dit :

    Pour l’histoire, je viens d’un temps et d’un lieu où la culture n’était pas dans les musées et l’identité était loin des ministères. Je viens d’un temps et d’un lieu où l’école ressemblait au quartier, où l’histoire, celle des autres, était dans les musées, mais où chacun possédait pleinement et individuellement sa propre histoire, et si identité il y avait, c’était dans la communauté de lieu, et dans les projets que nous formions tous pour nous-même. Des projets qui grandissaient dans un monde pacifié. La France nous importait peu, immigré ou pas. Notre culture était projet. La diversité n’était pas un concept, et ne se questionnait pas, la réalité était là. Ce musée aurait pu passer inaperçu, que ça ne m’aurait pas dérangé. Car mon projet était en moi-même, et ma diversité n’était que le champ des possibles. Impossible n’était pas Français, et le bon-sens m’apparaissait libéré du besoin de s’affirmer. Nous allions construire un monde inspiré des droits de l’Homme, c’était certain. De mes alter-egos, il ne reste aujourd’hui plus que des égos. Le champ des possibles ne se voudrait plus que l’unique possible.

    Puis m’est apparue la lutte. Et alors que la différence passait peu à peu dans le champ du débat, les différences de classes se profondisaient à mesure que l’on essayait de ranger tout le monde dans une identité, la lutte de classes revenait au premier plan à mesure que l’on tentait d’enterrer Marx.

    Paradoxe, plus on veut nier la différence, plus le fossé se creuse. Chomsky pense que plus la propagande est omniprésente, plus les contestataires sont intelligents. Le fossé se creuse et nous force à un grand écart. Nous ne pouvons soi-disant plus aujourd’hui, choisir le côté d’un Che Guevara, "sanguinaire", dans ce grand écart, les leaders d’opinions souhaitent que nous sautions tous de leur côté. Saurons-nous être intelligents ?

    Sylvain Delaforêt

  • Une histoire du Musée de l’immigration
    le mercredi 10 octobre 2007 à 23:01
    Bien évidemment l’histoire s’écrit jour aprés jour.Peut on donc imaginer dans ce musée trace ou témoignage de ceux qui sont aujourd’hui menacés d’expulsion ?!
  • Une histoire du Musée de l’immigration
    le mercredi 10 octobre 2007 à 12:31, SylvainD a dit :
    Une critique qui n’en est pas vraiment une de cette article, car je pense effectivement que ce musée, et aussi son emplacement (celui de l’ancien musée des arts d’Afrique et d’Océanie), est mal venu, et à mon avis, une honte. Seulement, je voudrais préciser pour ceux qui ne connaissent pas vraiment le sujet, que Sarkozy n’a pas grand chose à voir avec tout ça. Ce musée a été voulu de longues dates par Chirac, et au-delà par une certaine république française, qui souhaite effacer doucement notre histoire coloniale, ou lui trouver (que) des bénéfices. Ahmeb Boubeker doit le savoir, étant donné qu’il a travailler avec Pascal Blanchard. Agiter sans cesse la marionnette Sarkozy, c’est lui faire trop d’honneur, et lui donner de l’importance. Ce qu’il souhaite, c’est que l’on parle de lui. Je vous en prie, messieurs les écrivains et journalistes, arrêter de tomber dans le panneau. Sylvain Dubois. htp ://reactions.unblog.fr
    • Une histoire du Musée de l’immigration
      le jeudi 11 octobre 2007 à 15:21, Tomek a dit :

      Il me semble qu’il n’y a pas d’amalgame entre l’ouverture de ce musée et la politique de Sarkozy : juste une mise en perspective du traitement du thème de l’immigration…

      Bel article en tout cas.

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