La France célèbre cette année l’anniversaire du pont de l’île de Ré, construit par le grand Bouygues il y a vingt ans. « Bakchich » s’invite à la fête en faisant témoigner Gérard Merle, un militant UMP qui se souvient avoir, sur ordre, ramené à la mairie de Paris trois valises d’argent liquide représentant "la commission que le bétonneur versait au RPR pour obtenir le marché". Merle faisait le pont, en quelque sorte !
Vieux gaulliste, formé à l’action secrète, Gérard Merle était l’homme idéal pour porter une valise. La clandestinité incarnée ! Dans les années soixante, il jouait les « OSS-117 » pour le SAC de Foccart et Debizet en Afrique, où il entraînait militairement des indépendantistes capverdiens en lutte contre le Portugal de Salazar. Vingt ans plus tard l’aventure continue mais le décor est plus soyeux. Il rejoint en 1985 Jacques Chirac à la mairie de Paris pour s’occuper de la propreté, et des deux mille militants de la fédération RPR de la capitale. C’est là qu’un jour le parti chiraquien refait appel à ses talents de gymnaste.
Nous sommes fin 1986. Selon ses souvenirs, son supérieur, l’ex-commissaire des RG devenu Inspecteur Général de la Ville de Paris, Guy Legris, lui adresse une citation pleine de promesses : « Viens, il y a des valises à transporter ». Enfin ! Un peu d’action.
En cours d’affaire, continue Merle, Legris lui en dit plus. Il s’agit « de ramener au fief de Jacques Chirac, l’Hôtel de Ville, l’argent des commissions versées par Bouygues au RPR pour le marché de la construction du pont de l’île de Ré », qui s’achèvera en 1988. L’oiseau Merle, toujours prêt à chausser ses godillots pour une petite opération de terrain, file en voiture-breack banalisée avec chauffeur au rendez-vous boulevard Morland, où siège l’Inspection générale de la capitale. Il y retrouve, nous assure-t-il, Jean-Pierre Quéré, le secrétaire général adjoint de la ville, décédé il y a cinq ans, qui pour l’aider se saisit d’une des trois petites valises noires de type porte-documents contenant l’argent noir.
Puis, tels Bourvil et Gabin dans La traversée de Paris, ils emportent le butin vers l’Hôtel de Ville. Sauf qu’à la différence des vieux héros du marché noir, nos deux gaullistes ne rasent pas les murs dans l’intention d’échapper aux patrouilles de frisés, mais à l’agent du fisc et aux curiosités des juges.
Aux dernières nouvelles, et toujours selon Merle, l’argent serait bien arrivé.
Aristo des missions délicates, le porteur de valises n’a pas eu le mauvais goût de demander à ses chefs quelle somme exacte contenait son transport. Plus libre de ses questions, Bakchich a contacté l’ancien Inspecteur Général de la Ville de Paris, Guy Legris, pour lui demander s’il confirmait la mélodie de Merle. Retiré dans sa maison de campagne, Legris nous reçoit d’un viril éclat de rire, un brin forcé : « Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries ! » Puis l’homme enchaîne, dur comme une pile de béton : « Je ne m’exprime pas sur ces affaires. Je vous demande de ne plus me rappeler ».
Au parti de Legris, ce bon vieux RPR de Chirac devenu UMP, qu’a-t-on à dire des souvenirs d’un ancien convoyeur de fonds ? Rien. En vertu de l’antique principe selon lequel la révolution ne paye jamais les dettes de la monarchie, on se contente de nous faire savoir que l’UMP n’a rien à dire des vieilles affaires du RPR. Ni démenti, ni confirmation, juste rien à dire.
Et chez Bouygues ? Comme l’affaire date, voyons un peu du côté des anciens. Bakchich a contacté un retraité qui occupait chez Bouygues un poste de salarié syndicaliste, au moment même où Merle affirme avoir convoyé des valises. Appelons-le Raymond, car cet ancien ne veut pas être cité. Les commissions du pont de Ré lui rappellent sa jeunesse. « Ces commissions en liquide, nous en parlions dans nos réunions de l’époque. Nous savions que l’argent destiné au RPR transitait par la mairie de Paris où Jacques Chirac avait une logistique ». Et quelques employés de talent…
Formidable Sudoku, ce petit jeu de grilles chiffrées qui muscle le cerveau des Français vieillissants ! Il semblerait que son succès soit à l’origine d’un beau surcroît de mémoire chez nos amis retraités. Bakchich en a retrouvé un autre, qui également n’a rien perdu de ses souvenirs. Nommons-le Jules, car lui aussi souhaite se faire oublier, mais sachez qu’il fut dans les années 1990 l’un des responsables du parti centriste de Pierre Méhaignerie, le CDS, fin connaisseur du financement occulte.
La générosité de Bouygues à l’époque de la construction du pont de Ré aurait bien pu valoir à Jules un séjour à l’ombre. De part sa position dans le parti, notre bon Jules pouvait prétendre à passer l’hiver 2000 en prison après que la PJ eût trouvé dans la comptabilité du bureau d’études du CDS « Stratégies et Méthodes », en 1995, deux factures relatives à un contrat d’audit concernant la construction du pont de Ré. L’enquête établissait que Bouygues payait des études fictives à cette société bidon pour remplir les caisses du parti de Méhaignerie. Lequel, et c’est fou où parfois vient se nicher le hasard, entretenait des liens d’amitié avec François Blaizot, le président du Conseil général de Charente-Maritime, maître d’ouvrage du fameux pont… Voilà pour ce qu’avait découvert la justice, et plusieurs chefs du CDS, dont Pierre Méhaignerie, furent condamnés à de la prison avec sursis avant d’être amnistiés.
Ecoutons, maintenant, les souvenirs de notre ancien du CDS sur l’argent qui valsait au moment de la construction du bel ouvrage de Bouygues. « L’idée générale à l’époque, nous confie Jules, c’est que les commissions du pont de l’île de Ré étaient partagées. Ce qui se disait, c’est que sur cette affaire tout le monde avait touché. Mais contrairement à ce qu’on croit, ce ne sont pas toujours les caisses des partis politiques qui ramassaient le plus. Cette version-là, c’est celle qu’on donne devant les juges quand il s’agit de justifier les versements. L’argent des commissions allait aussi enrichir, on va dire, des carrières personnelles ». C’est ce qui s’appelle fournir un petit tuyau à la justice.
Et Bouygues ? Le constructeur a-t-il gardé, lui aussi, la mémoire des commissions jadis versées aux partis politiques ? Quand on se promène sur son site internet, il saute aux yeux que l’entreprise veut oublier cette période où deux gaullistes faisaient la traversée de Paris les bras chargés de billets. Lisons ensemble. Au chapitre « code d’éthique du groupe Bouygues » rédigé en 2006, il est doctement affirmé que « la politique générale du groupe est de ne pas contribuer au financement des partis ou des hommes ou femmes politiques ». Et cette phrase est gravée dans le ciment : « la participation d’une entreprise au financement des partis politiques ou de l’activité des élus ou candidats est strictement interdite en France ». Bref. Après une fort civile discussion au téléphone avec les responsables de sa communication, le constructeur du pont de Ré nous a communiqué par email sa réponse. Une phrase. Une seule : « Le groupe Bouygues n’a aucune connaissance des allégations de Monsieur Merle qui portent sur une période remontant à plus de vingt ans ».
Dommage. Pour les vingt ans du pont de Ré, un récit un brin plus vivant du temps de la générosité aurait mis un peu de couleur aux 28 piles et 27 travées du plus long ouvrage en béton précontraint de France.
de la part de Patrice Hénin : http://patricehenin.over-blog.com/article-25874400.html
Si la citation de votre article pose problème, je peux vous communiquer l’adresse courriel de ce corbeau afin de pouvoir exercer votre courroux.
La lettre au président de la République est en préparation : http://www.mediapart.fr/club/blog/patrice-henin/161208/crs-ss-sarkozy-naz
et François Fillon a lui ramené un chef 3 étoiles à Matignon … ce qui a fait sursauter le directeur financier de Matignon !
http://www.impots-utiles.com/francois-fillon-prefere-les-3-etoiles.php