Alors que sort en salles "Lettres D’Iwo Jima" de Clint Eastwood, qui relate l’affrontement americano-nippon de la seconde Guerre Mondiale du point de vue japonais, gilbert Comte raconte Pearl Harbour.
À l’automne, voici quelques mois, l’Assemblée nationale vota une loi pour permettre d’ouvrir des poursuites judiciaires contre toute contestation du massacre des Arméniens par les Turcs en 1915. Quelques universitaires s’en émurent. Ils demandèrent si les députés disposaient vraiment du droit d’intervenir par des sanctions dans un sujet hors de leurs compétences. Dans certains cas, ne s’exposent-ils pas en effet à céder à des groupes de pression minoritaires mais d’un poids électoral excessif ?
Un scrupule honorable trop tardif par rapport à quelques précédents. Sans doute ne devrait-il pas exister d’Histoire officielle dans un pays libre. Mais enfin, il s’en fabrique une de longue date dans les institutions, publications les plus renommées. À l’article Pearl Harbour, par exemple, le monumental Dictionnaire Larousse en deux volumes consacré à la seconde guerre mondiale énonce : « le bilan tragique s’explique essentiellement par la surprise des Américains, qui n’avaient nullement envisagé la possibilité d’une attaque… Ni l’État-Major de la Marine ni l’Amiral Kimmel, n’avaient imaginé que la marine impériale […] pourraient se lancer dans une attaque. Le Japon avait provoqué, réveillé le géant américain bien décidé à relever le défi. »
Ce propos tranchant, conçu pour laisser dans les consciences une certitude sans appel parut en 1980. Il cite l’Amiral Kimmel mais à tort. 25 ans plus tôt, cet ancien commandant de la flotte américaine du Pacifique écrivait dans la préface du livre de son adjoint le contre-amiral R.A. Théobald lui-même commandant des destroyers à Honolulu, Le secret de Pearl-Harbour traduit et paru en français chez Payot : « si nous n’étions pas prêts à Pearl-Harbour, c’est parcequ’il était dans les intentions du président Roosevelt de ne pas alerter la flotte des Hawaï ». Pourquoi donc ?
Depuis l’écrasement de la France en juin 1940, le gouvernement de Washington souhaite attaquer puis détruire Hitler. Mais en cette année électorale, son chef connaît l’isolationnisme de ses compatriotes. Ils ne veulent en aucun cas une intervention militaire en Europe. Reconduit sur ce thème à la Maison-Blanche, il ne lui reste plus qu’à provoquer le choc psychologique nécessaire pour obtenir un retournement de l’opinion. L’alliance entre l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et le Japon impérial lui en offre un moyen presque providentiel. Elle oblige en effet chacun des signataires à aider immédiatement celui d’entre eux qu’une épreuve de force opposerait à une autre puissance. Dans ce cas d’école, il ne lui reste plus qu’à provoquer le gouvernement de Tokyo jusqu’à l’extrême limite pour mettre celui de Berlin en conflit avec l’Amérique sans qu’elle ait besoin de tirer un seul coup de fusil.
À partir de l’été 1941, les sujets de conflit s’étendent entre l’Empire du Soleil Levant et la Maison Blanche. À toutes les tentatives de conciliation, elle répond par une hauteur humiliante. En novembre, comme pour pousser l’interlocuteur à bout, elle exige par ultimatum qu’il renverse entièrement sa politique étrangère, avec des exigences économiques insupportables s’il s’y refuse. Grande tentation pour lui de prendre les devants, d’attaquer sans avertir avec tous les profits de la surprise. Le procédé procura le succès contre la Russie à Port-Arthur, en 1904.
Rossevelt ne peut négliger cette hypothèse. En bonne logique, elle exige un renforcement des bases militaires dans le Pacifique. Tout au contraire, il en allège les défenses, comme pour les rendre plus faciles à frapper par un agresseur éventuel. Selon le contre-amiral Théobald, ces « modifications d’effectifs n’eussent jamais été exécutées en ces jours critiques sans l’approbation expresse du Président. Par suite de l’espionnage très efficace qui s’effectuait aux Hawaï et dans la zone du canal de Panama, tous les changements apportés dans la composition de la flotte du Pacifique » parvenaient très vite à la connaissance de l’état-major nippon.
Là, des militaires pressés d’en finir, des politiques aveugles comme si souvent partout se mettent à croire possible une prompte conquête du Pacifique après l’anéantissement des bases d’Honolulu. Une résistance de Pearl Harbour leur compliquerait quand même la tâche. Pour qu’elle ne se produise pas, Roosevelt cache à ses propres soldats les dangers qu’ils courent. Lui les connaît parfaitement, comme l’en accusa plus tard le même Théobald : « afin de préparer la solution envisagée par lui, le Président favorisa cette surprise en laissant ignorer aux chefs militaires des Hawaï les renseignements capitaux fournis par le déchiffrement des télégrammes japonais suggérant l’imminence des hostilités. » Coût de l’opération : 4560 morts, des blessés en plus grand nombre, de très nombreux bateaux détruits ou endommagés. Mais, conclut Théobald, « le président Roosevelt […] jeta dans le conflit un peuple unanime, parce que personne ne soupçonna que cette attaque des Japonais s’inscrivait dans les plans de son président. »
Bien sûr, une machination de cette envergure laisse des traces. Les Républicains s’en émurent dès l’élection suivante, en 1944, puis plusieurs fois à partir de 1945. Selon la méthode américaine, des commissions d’enquêtes parlementaires essayèrent de percer l’énigme. Il en résulta 10 volumes de témoignages, 10 de pièces à conviction, 17 autres d’interrogatoires. Une « masse de verbiage » recueillie dans des conditions juridiques parfois douteuses, pour enfouir la vérité sous des contre-expertises innombrables. La méthode connut le même succès après l’assassinat de John Kennedy. Avec le coup des « armes de destructions massives » imputées à Saddam Hussein, par le lointain successeur de Roosevelt, Georges W. Bush, les Etats-Unis rappelèrent qu’ils savent toujours comment s’y prendre lorsqu’ils veulent une guerre.
Quelle que soit, l’Histoire officielle ne résiste jamais à l’épreuve des siècles. Toujours elle s’effrite avant de tomber. Encore faut-il quelques mains hardies pour en gratter la façade. Et ça, c’est une autre affaire.