Avec l’affaire d’Outreau, l’expertise judiciaire avait été quelque peu mise à mal. Le cas d’un expert de la Cour d’appel de Paris, qui réutilise de vieux diagnostics et possède des antécédents un peu troubles, n’est pas des plus rassurants
En novembre 2005 Jean-Luc Viaux l’expert psychologue de l’affaire Outreau avait provoqué un sacré tollé en déclarant devant une forêt de micros : « Quand on paie les expertises au tarif d’une femme de ménage, on a des expertises de femmes de ménage ! »
La petite phrase de l’expert Viaux venait souligner l’importance toujours croissante de l’expertise dans la décision de justice : présumé neutre, objectif et indépendant à la différence du flic, du procureur, de l’avocat, l’expert est supposé éclairer le juge de sa « science »… Ce qui le rend particulièrement dangereux lorsqu’il défaille.
Pascal Clément, le ministre de la Justice avait estimé nécessaire de réclamer la radiation de Viaux de l’ordre des experts. Sans succès… Saisie en formation disciplinaire la Cour d’appel de Rouen regrettera certes les propos « maladroits » mais rendra surtout hommage aux expertises « extrêmement fouillées » de Jean-Luc Viaux, ainsi réalisées sur les quatre enfants de la famille Badaoui. Comprenne qui pourra …
Une autre sale affaire doublée d’ « expertises fouillées » s’est jouée à la Cour d’appel de Paris.
Au début des années 90 un couple se déchire. Conflit particulièrement violent : une mère accuse son ancien compagnon d’attouchements sexuels et de viols sur leur fille, âgée de 3 à 6 ans lors des faits allégués. Le père, lui, nie farouchement. Une information judiciaire est néanmoins ouverte en 2000 pour viol sur mineur et l’association Enfance et Partage se porte partie civile.
Durant toute l’instruction, aucun élément matériel ne vient corroborer les accusations de l’enfant contre son père, alors placé sous le statut de témoin assisté. Les mois et les années passent, l’enfant maintient sans faiblir ses accusations.
Appel est alors fait aux sacro-saints experts.
En mars 2002 le juge d’instruction Jourdan mandate deux honorables docteurs pour réaliser une expertise psychiatrique et médico-psychologique de Sophie. Leurs conclusions tombent en avril. Dans « l’état actuel de sa personnalité, ses déclarations ne peuvent êtres prises en considération en ce qui concerne les allégations de violences sexuelles et physiques », ajoutant au passage que cette procédure judiciaire rend Sophie « folle » : « la mère et la fille vivant uniquement dans cette affaire ».
En Janvier 2005 le juge rend une ordonnance de non lieu. Les avocats de Sophie et de sa mère interjettent aussitôt appel. Maître Baratelli et Baduel découvrent en effet que l’expertise, soi –disant réalisée sur l’enfant en 2002, n’est en fait que la reprise d’une précédente expertise réalisée 4 ans plus tôt ( !) dans le cadre d’une procédure réclamée par le juge des enfants. Un vulgaire copier/ coller.
La Cour, considérant que le rapport des médecins, « seule expertise effectuée dans le cadre de la procédure pénale » pose un problème de « fiabilité » infirme l’ordonnance de non-lieu en mai 2005. Le dossier est renvoyé devant le juge d’instruction.
Retour à la case départ donc avec les conséquences que l’on peut imaginer pour une enfant que cette procédure « rend folle » aux dires même des deux experts. Poursuivis pour « faux et entraves à la justice » ces derniers échapperont aux poursuites en décembre 2006 pour cause de prescription…. Tant d’insouciance fait toutefois quelque peu désordre et dans les couloirs du Palais, entre deux audiences, alimente les conversations. C’est ainsi qu’un des conseils de Sophie découvre les états de service de l’un des experts psychiatres.
Le 28 octobre 1995 le docte praticien avait écopé devant le conseil de l’ordre d’un an d’interdiction d’exercer la médecine. Ceci pour avoir « enfreint les lois les plus sacrées et les plus anciennes de la déontologie médicale » selon la décision rendue. À savoir « le commerce sexuel » auquel le thérapeute avait soumis l’une de ses malades. Des attendus particulièrement sévères de la part d’ un Ordre plutôt réputé pour son sens de la confraternité. Mais sans doute justifié selon cette décision par le fait que « le docteur […]a déjà bénéficié de l’indulgence de la juridiction ordinale dans une affaire où il admettait avoir eu des relations sexuelles avec une de ses patientes ». Le chaud lapin, lui, nie les faits et fait appel. Sans succès. Son système de défense repose principalement sur sa capacité à exhiber une cicatrice toute fraîche au bas du dos. Là précisément où sa patiente avait indiqué la présence d’une boule de chair, un vilain kyste : « Une connaissance qui supposait une intimité étrangère aux relations normales entre psychiatre et sa patiente » tranche le Conseil de l’ordre. L’habile expert obtiendra en revanche un non-lieu devant la justice pénale. Tout en estimant « vraisemblable » l’existence des relations sexuelles alléguées, tout en soulignant que l’accusé n’avait pas dit « la vérité », les juges estimeront insuffisamment caractérisé « l’abus d’autorité » ou « la violence physique ou morale » exercée, pour entrer en voie de condamnation. Et avec de tels états services, le bon docteur est toujours inscrit sur la liste des experts auprès la Cour d’appel de Paris…
Note * Le prénom a été changé.