J’enseigne depuis bientôt vingt ans dans une préparation à Sciences Po. Des fils et des filles de famille, mais pas que, suivent mes cours d’histoire. Un certain nombre chaque année intègrent Sciences Po Paris, d’autres des IEP de province.
Depuis vingt ans, c’est une constante, ils ont toujours décrypté le passé à travers l’actualité. Depuis quelques années j’ai constaté une évolution très nette de leur grille d’analyse. Le monde a changé, les discours aussi. Pour eux, la mondialisation est une constante du XX siècle. La lutte des classes a disparu à la fin du XIX siècle. Le communisme est un accident abominable de l’histoire… Cette évolution a été progressive, ténue, sans rupture jusqu’à cette année.
Il y a quelques mois, à deux reprises je me suis trouvé devant deux copies qui confondaient Staline et Hitler et inversement. Leurs auteurs mélangeaient allégrement les deux dictateurs. Les erreurs étaient très nombreuses. « Staline avait serré la main du Maréchal Pétain à Montoire », « Quelques mois après la mort d’Hitler, le XX congrès du PCUS commençait à critiquer sa politique ». C’est l’œuvre d’élèves moyens, pas de cancre. Sur le coup je mis ces erreurs sur le compte de l’inattention, d’étudiants particulièrement tête en l’air.
J’ai vite oublié ces dissertations. Il y a un mois, comme chaque année, pour mon dernier cours de l’année, je donnais les ultimes consignes. Ceux qui doivent permettre aux étudiants de réussir le concours. Et comme chaque année Je les ai invités à relire leurs copies pour éviter certaines erreurs d’inattention. Comme je voulais illustrer mon propos, je me suis souvenu de ces exemples. J’ai cité les deux copies. À ma grande surprise, un de mes meilleurs élèves m’a répondu :
C’est pas une faute très grave. Staline et Hitler, c’est un peu la même chose.
Immédiatement je réagis.
Vous tenez ça d’où ?
C’est une autre élève qui répondit
Hannah Arendt. Les origines du totalitarisme.
Un garçon bien moins brillant ajouta.
Bernard Henri Lévy pense la même chose.
En tant qu’élève de votre classe en prépa science po cette année, je suis profondément choqué.
Premièrement vous introduisez votre article en nous définissant comme des "fils et des filles de famille". Comment pouvez-vous affirmer cela ? D’où tirer-vous cette information ? êtes vous sociolique ? Par cette généralité subjective,vous voulez donc clairement nous stigmatiser (bourgeois, parisiens…). Or vous précisez après "mais pas que", donc vous soulignez que votre généralité n’en était pas une !
Deuxièmement, est-ce notre faute si tous les manuels d’histoire nous parlent, sans nuances, de l’accroissement des flux commerciaux internationaux ? Nous n’avons que 20ans, et pas 50. Nous n’avons donc pas votre recul, votre capacité d’analyse historique et la sagesse de critiquer chaque phrase lue dans un manuel référence d’histoire. D’autre part, est-ce que pour prétexte que l’idéologie d’une doctrine soit belle en soit (tous les humains doivent être égaux), on doit s’interdire de critiquer les drames (souvent inhumains d’ailleurs) qu’elle a causé ? Le communisme est, certes, un bien beau principe. Mais, concrétement, tous les régimes communistes au XXème siècle étaient soit totalitaires, soit dictatoriaux… ! Alors qu’est-ce donc qu’une catastrophe : Mal penser ou mal agir ?
Enfin, qui a dit que la lutte des classes était terminée depuis la fin du XIXème siècle ? Pour ma part, je ne le pense pas, même si je crois qu’elle n’a pas, aujourd’hui, ni la même intensité ni la même configuration qu’auparavant. Et personne n’a confondu, consciemment, Hitler et Staline. Merci de nous définir comme des imbéciles !
Pour conclure, cette article m’apparait bien impoli et faux. Impoli parce que vous attendez la fin de l’année que les cours soient finis pour avouer, dans notre dos, ce que vous pensez réellement de nous, ce qui fait très plaisir…. Ce genre de critique se nomme usuellement hypocrisie. Et faux parce que vous faites des généralités abusives et parfois infondées.
Monsieur.
Deux remarques amusantes et sincères :
D’où je tire que certains viennent de milieux plutôt favorisés ? Durant mes dix dernières années. J’ai eu dans mes différentes classes : le fils de Decaux, de Taittinger, de plusieurs ministres, d’un Maréchal de France (et aucun noir ni aucun arabe), ce n’est pas de votre faute, ni de la mienne… Pendant les dîners que nous organisions au cours de l’année j’ai été invité dans des appartements de 200 mètres carrés avec vue sur tout Paris, dans des hôtels particuliers… Mais pas que… J’espère seulement que Sciences Po s’ouvre un peu plus. C’est progressivement fait.
La deuxième, ce n’est pas vous que j’incrimine, mais le temps qui passe. Si certains d’entre vous ont du mal à faire la différence entre Hitler et Staline, j’ai du mal à faire la différence entre Stendhal et Flaubert.
Trois remarques seulement sincères :
J’ai passé, comme chaque année une année passionnante. Et comme vous l’aurez remarqué, je ne pense pas que le niveau baisse, ni que vous êtes plus bêtes que moi lorsque j’étais assis sur les bancs des préparations. Mais seulement que le temps passe et que les références historiques évolues.
La deuxième remarque c’est que l’histoire est arrivée en plusieurs séquences, dans plusieurs classes, ces dernières années.
La troisième remarque c’est que vous me donnez raison, en partie. Hitler et Staline c’est différent.
Très cdt. Et je vous assure j’ai passé une très, très, très bonne année.
Dans votre prochain article mettez votre adresse mail pour que je puisse vous répondre.
Bertrand Rothé
…je ne sais pas si vous faites référence a la prépa de l’ICP mais si c’est le cas vous faites erreur :étant dans votre (seul) groupe,je peux assurer vos (fidèles) lecteurs que ce dernier cours que vous évoquez n’a pas eu lieu…aucun élève n’a cité BHL.J’ai conscience de vos préjugés sur les "fils et filles de bonnes familles" et les respecte mais je vous pris de m’assurer que vous ne tenez pas vos sources de ce groupe 4 de l’ICP. Votre vision de l’Homme est belle mais elle est malheureusement contre-naturelle.
Cordialement.