Mounir, 40 ans, épicier d’origine tunisienne, comparaît pour violences aggravées sous la menace d’une arme, un tesson de bouteille.
Comparutions immédiates du 3 mars 2009, 23e chambre de Paris
Dans la nuit du 1er mars, Mounir, un épicier d’origine tunisienne, a fracassé un tesson de bouteille Heineken sur la tête de la partie civile, qui vaut à celle-ci cinq points de suture et cinq jours d’ITT (Incapacité Temporaire de Travail). Présente à l’audience, la victime tient elle aussi une petite supérette dans le quartier de la Cité Universitaire (Paris, 14e). Un brin enrobé, ce deuxième épicier a le brushing soigné, le cheveu blond platine, le jean délavé serré et la démarche chaloupée – la version commerçante de Michou, ex-roi de la nuit parisienne.
« Les faits sont complètement idiots et malheureusement beaucoup trop fréquents dans ce tribunal, commence le Président. Vous aviez 0,73 mg par litre d’air expiré et visiblement, cela vous a rendu mauvais. Vous avez l’alcool agressif ? » Mounir l’admet, il boit « rarement », mais quand il se lâche, il lui « arrive » de s’énerver, « un peu ». Son casier jusque-là était vide. C’est sa première garde-à-vue, la première fois même qu’il « franchit la porte d’un commissariat ».
« Il était une heure trente, une heure quarante-cinq, raconte la victime à l’accent pointu. J’étais dans mon magasin. Je vois entrer Mounir, je lui dis : “Bonjour Mounir”. Il ne me répond pas. Il prend une bouteille de poire en rayon et il commence à m’agresser derrière ma caisse. Il voulait pas payer ! Je lui dis : “Alors tu reposes la bouteille, Mounir”. C’est là qu’il sort la bouteille de bière de sa poche et qu’il tape sur ma tête. Il est sorti en courant. Je l’ai suivi en laissant mon magasin ouvert. Dans la rue, j’ai croisé la police avec la tête en sang – ils ont réussi à le rattraper ». L’homme suspend alors son récit, lâche la barre et s’approche des trois magistrats. Baissant la tête et pointant du doigt son cuir chevelu, il se plante sous le nez du Président : « Je sais que vous n’êtes pas médecin, Monsieur le Président, dit-il en sanglots, mais regardez un peu cette plaie. Une tête, cela saigne beaucoup, vous savez ».
Si Mounir s’en est pris au sosie de Michou, c’est parce qu’il le tient en partie responsable de la faillite de sa propre supérette, il y a de cela deux mois. « Y avait-il un différent entre vous ? », demande le Président. « On se connaît bien et depuis des années, répond le prévenu. Nous avions chacun notre supérette dans le même quartier, on était des amis, il n’y avait jamais eu de problème ». Le magistrat insiste : « Mais y a-t-il un rapport entre votre geste cette nuit-là et le fait que vous soyez sans travail aujourd’hui ? » Le prévenu l’admet à demi-mot : « Je ne pensais pas lui en vouloir, je sais qu’il n’y est pour rien. Mais j’ai peut-être fait ça parce que je suis inquiet pour ma famille, oui. Je suis en France depuis 88, j’étais commerçant depuis 95 et j’ai toujours travaillé très dur pour subvenir aux besoins de mes enfants ». Mounir a quatre enfants en bas âge à sa charge, « le plus grand a sept ans et le petit dernier, sept mois ». La défense conclue au dérapage d’un père parfaitement responsable, mais particulièrement angoissé : « Par les temps qui courent, on peut facilement comprendre son désarroi ».
Le jugement : huit mois de prison avec sursis. L’avocat de la victime obtient du tribunal un renvoi de l’audience sur les intérêts civils, le temps d’évaluer les répercussions psychologiques de cette agression sur la victime – et donc le montant des dommages et intérêts.
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