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Pour mémoire…

Histoire / vendredi 5 décembre 2008 par Jacques Gaillard
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Si la mission d’information sur les lois mémorielles recommande de ne plus adopter de lois sur la mémoire, elle indique qu’il n’y a pas à revenir sur celles déjà existantes. Est-ce bien sérieux ?

C’est une spécialité française, au même titre que le camembert : faire énoncer par le corps parlementaire des lois dites « mémorielles » établissant non point ce qu’il est permis ou pas de dire sur un événement ou une période historique, mais purement et simplement ce que l’on doit dire si on ne veut pas être traîné devant les tribunaux. La différence ? Elle est facile à illustrer. On se souvient qu’un historien de haut niveau a vécu un véritable harcèlement judiciaire, au nom de la loi dite Taubira, pour avoir étudié la traite des esclaves en Afrique dans les royaumes arabes de ce continent et entre les Etats africains eux-mêmes, exactement comme s’il niait, ce faisant, la responsabilité historique des européens dans le commerce du « bois d’ébène ». La « chose à dire » était donc : les Européens sont les seuls à avoir commis ce crime contre l’humanité. Toute autre affirmation est assimilable, dans l’esprit de la loi, à du négationisme. Mais on peut aussi bien imaginer (et de cela, qui s’en avise ?) une loi prescrivant de dire exactement le contraire…

La chose vous paraît invraisemblable ? Prenez la première guerre mondiale : une « loi mémorielle » votée entre 1918 et 1943 aurait pu prescrire la béatification de Pétain ; jusque dans les années 90, cette loi eût prescrit à la fois la mise en cause de Pétain et la célébration de cette guerre comme grand moment d’héroïsme collectif, en interdisant d’évoquer les mutineries ; depuis, il est non seulement possible, mais expressément recommandé de la décrire comme une boucherie – ce qu’elle fut. Et il y aura toujours des tentations pour, à un moment donné, imposer un jugement collectif réducteur, voire falsificateur : après les bafouillages du bi-centenaire de la Révolution française, dont les vertus libératrices ont été atténuées par un étalage hyperbolique de ses épisodes les plus violents (comme s’il pouvait exister une révolution sans violence, surtout après tant de siècles d’absolutisme monarchique…), on sent à nouveau des velléités politiques de transformer la guerre de Vendée en génocide officiel. A quand une loi obligeant à dénoncer mai 68 comme une chienlit régressive, puisque c’est l’idée à la mode à l’Elysée ? Quant au fameux débat sur les effets positifs et négatifs de la colonisation, une chose est certaine : le « tout négatif » est un jugement aussi intenable, historiquement, que le « tout positif ». Dans l’un et l’autre cas, cette estimation rétrospective ne fait que refléter une argumentation politique relevant de l’idéologie, que le refus de nuancer caractérise et condamne à la fois : à quoi bon se flatter d’établir un bilan, s’il n’est pas pondéré ?

La communauté des historiens reprend la main

Heureusement, après avoir été troublée par cette succession de lois qui, depuis la loi Gayssot, ont posé un grave problème politique et moral, la communauté des historiens a su reprendre la main, avec mesure et toute la gravité que donne le savoir. Alors que le vote des lois mémorielles a donné lieu à des emballements lyriques et des sermons moralisateurs, l’avertissement des savants s’en tient à des principes simples qu’il convient de rappeler en citant les premières lignes de l’appel du 12 décembre 2005, repris en novembre 2008 sous le nom d’ « appel de Blois » (où se tiennent des « journées » consacrées à l’histoire, de réputation mondiale) :

« Émus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l’appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs, nous tenons à rappeler les principes suivants :

L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant. L’histoire n’est pas la morale. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique.

L’histoire n’est pas l’esclave de l’actualité. L’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les événements d’autrefois la sensibilité d’aujourd’hui.

L’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas.

L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un État libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’État, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire. »

Rien n’est plus clair que cet appel des historiens, et rien n’est plus honnête. Il serait temps que les tenants des « lois mémorielles », mais aussi ceux de bien d’autres censures visant à pénaliser tout écart supposé à une morale correctness qui rappelle les péchés « en actes, en pensées ou en paroles » inventoriés dans les manuels des confesseurs, prennent conscience qu’ils atteignent parfois le degré de dogmatisme des religions les plus obscurantistes – sont-ils loin de ces fanatiques qui veulent imposer le créationisme, seule attitude bibliquement correcte ?

La conscience collective, coeur battant et vivant de la démocratie, n’a pas besoin de ces censures, et le pire moment sera celui où, malmenée par une législation abusive, elle sera condamnée à s’auto-censurer. Ne nous voilons pas la face, c’est déjà le cas dans les rédactions et les maisons d’éditions, où l’habitude est prise (on paie même, ici ou là, des juristes ad hoc !) de supprimer « tout ce qui dépasse » pour éviter tout risque de procès. Des exemples récents (et pas très reluisants) ont montré que l’humour est la première victime, ou la plus visible, mais la liberté d’expression fait un tout, et lorsque, sur des sujets comme les guerres africaines, l’esclavage, le colonialisme, les divers monothéismes (on peut dire n’importe quoi sur les autres religions) ou même les composantes ethniques d’un corps de données statistiques, toute information est censurable ou censurée, alors, il est peut-être utile non seulement de renoncer désormais à faire des lois mémorielles, comme le préconise un récent rapport parlementaire, mais encore de revoir la copie, de reprendre les lois existantes (horriblement mal rédigées, et juridiquement floues, du reste !) ou, au moins, de les soumettre au Conseil Constitutionnel, pour avis…


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7 MESSAGES

Forum

  • Pour mémoire… Contre les lois mémorielles
    le samedi 6 décembre 2008 à 17:31, Bocage a dit :

    Bravo à M. Gaillard qui préconise de "reprendre les lois existantes (horriblement mal rédigées, et juridiquement floues, du reste !) ou, au moins, de les soumettre au Conseil Constitutionnel, pour avis…"

    Chiche !

    L’association Liberté pour l’histoire, qui a rédigé l’"Appel de Blois", avait pourtant, le 12 décembre 2005, affirmé que la loi Gayssot du 13 juillet 1990 (entre autres) devait être abrogée car cette loi, votée dans l’hystérie de l’affaire de Carpentras, était "indigne d’un régime démocratique" et - patatras ! - voilà que l’association retourne sa veste et prétend aujourd’hui qu’il ne faut plus abroger cette loi ! Où est le sérieux de cette association, qui dit blanc un jour et noir le lendemain ?

  • Pour mémoire…
    le vendredi 5 décembre 2008 à 13:28, il magnifico a dit :
    "Rien n’est plus clair que cet appel des historiens", écrit M. Gaillard. Hélas, tel n’est pas le cas. Savez-vous, par exemple, que l’association qui lance cet Appel s’est prononcée CONTRE l’abrogation de la loi Gayssot ? Cette loi mémorielle, la première de toutes, condamne, je le rappelle, ceux qui contestent le jugement du tribunal militaire des vainqueurs de Nuremberg. Voyez ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Libert%C3%A9_pour_l’histoire
  • Pour mémoire…
    le vendredi 5 décembre 2008 à 09:01, trybuna ludu a dit :

    Desole mais dire que les historiens sont objectifs est aussi bête que de dire que la colonisation a eut des effets bénéfiques ou néfastes sur les peuples concernes.

    Les historiens sont des hommes qui ont reçu pour la grande majorité un enseignement Universitaire. Ils sont pour la plupart les disciples de maîtres (universitaires). Ils ont comme la plupart de leurs compatriotes des idées politiques.

    Du moment qu’un fait est raconte il est déforme. Il n’y a pas de verite, il n’y a que des perspectives.

    Et se borner a énoncer les fait ce n’est pas le grand fort de nos historiens qui, en fonction des modes ,révisent perpétuellement leurs discours.

    Le dernier historien a peu près objectif a écrit un livre qui s’appelle "Histoire de la guerre du Peloponnese".

    l’histoire n’appartient pas forcement qu’aux seuls historiens comme le sexe n’appartient pas qu’aux prostitues.

    Separer l’histoire du Politique m’a l’air aussi vain que de vouloir séparer le pouvoir exécutif du nain grassouillet du pouvoir judiciaire.

    • Pour mémoire…
      le vendredi 5 décembre 2008 à 12:31

      Thucydide "objectif" ? C’est la meilleure : il est ouvertement anti-démocrate (et anti-athénien)…et nous n’avons pratiquement aucune autre source sur les faits qu’il raconte ! Tandis que pour l’histoire moderne (disons, depuis le XVe siècle),il y a des tonnes de documents, et des sources d’informations multiples !

      Soyons sérieux : ce qui permet l’évaluation d’une analyse historique proposée par un historien, c’est la confrontation des thèses. En interdisant ce débat, les lois mémorielles châtrent l’histoire et tuent la critique.

      La preuve ? Il n’y a pas eu besoin d’une loi pour que les "négationnistes" de la Shoah soient rejetés par la communauté des historiens : leurs thèses ne tenaient pas la route, face aux données objectives, et surtout face à la conscience collective… A partir de cet exemple extrême, on a voulu créer des "sanctuaires" pour safisfaire quelques lobbies.

      Quant à l’idée que l’histoire est nécessairement subjective et falsifiée, c’est un des grands thèmes du post-modernisme ringard : renoncer à penser, ce n’est pas penser mieux !

      • Pour mémoire…
        le vendredi 5 décembre 2008 à 17:31, trybuna ludu a dit :

        Alors laissons la pensee a la caste des historiens et des politiciens. De temps en temps vous nous pondrez un livre de vulgarisation pour nous autres les crasseux intellectuels et tout ira bien.

        Quand on voit le niveau de l’etude universitaire francaise sur le nazisme compare aux pays anglosaxon on prend peur.

        Peut etre que j’aurai du prendre Polybe et son discours sur les rats de bibliotheques….

      • Pour mémoire…
        le samedi 6 décembre 2008 à 12:20

        Et concernant Thucydide, bien qu’ayant subi un revers opérationnel face a Brasidas, il démontre par ses écrits les qualités de son adversaire. Il est banni en grande parti a cause de Cleon mais il arrive quand même a concéder des qualités a cet adversaire.

        Relisez ce livre sans les notes de bas de page.

        Mais bon que veut dire le mot "opérationnel" pour un membre de la caste des historiens ? Pour les plus audacieux d’entre vous ça se limite sûrement a un doigte d’etudiante de première année au fond de la BU….

    • Pour mémoire…
      le vendredi 5 décembre 2008 à 14:43, il magnifico a dit :
      "Rien n’est plus clair que cet appel des historiens", écrit M. Gaillard. Hélas, tel n’est pas le cas. Savez-vous, par exemple, que l’association qui lance cet Appel s’est prononcée CONTRE l’abrogation de la loi Gayssot ? Cette loi mémorielle, la première de toutes, condamne, je le rappelle, ceux qui contestent le jugement du tribunal militaire des vainqueurs de Nuremberg. Voyez ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Libert%C3%A9_pour_l’histoire
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