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Petit conte tropézien : l’affaire Millau

Immobilier / mercredi 16 mai 2007 par Gari John
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Célèbre pour ses gendarmes, Saint Tropez, capitale de la jet-set, a aussi ses petites histoires de clocher.

Saint-Tropez, lieu d’un cloche merle immobilier : un chroniqueur à la retraite (Millau), un voisin procédurier et mauvaise langue (Crazover), un député maire qui manque d’humour quant il s’agit de lui (Couve), mais pas de gendarmes, et vous avez là tous les ingrédients d’une mauvaise bouillabaisse tropézienne, en béton si l’on peut dire. Fin du feuilleton pour Couve et retour à Paris pour Millau. Après des années de procédure, Christian Millau, 78 ans, co-fondateur du « Guide Gault-Millau » a procédé à la destruction de sa villa sur les hauteurs de Saint-Tropez. Un galop de trop pour Millau.

Et pourtant. Il avait une belle maison sur la route des plages de Ramatuelle, quartier Sainte-Anne, le Millau, célèbre critique gastronomique, aujourd’hui à la retraite. « La Vigne Sainte-Anne ». Une de ces villas qu’on photographie dans les magazines people, avec vue imprenable sur la baie de Pampelonne, piscine et carré de vignes. Un mas provençal de 200 mètres carré. Rien d’extraordinaire quand on sait la valeur des résidences pour milliardaires de Saint-Trop’ (Vincent Bolloré, Bernard Arnault, François Pinault et autres amis de M. le président Sarkozy) ; une fortune quand on sait le prix de l’immobilier dans ce beau coin de Provence.

La semaine passée, toute la presse française s’est efforcée de raconter que l’ancien journaliste avait été « condamné pour avoir construit sans autorisation une maison sur un domaine protégé du littoral varois » (Le Parisien, 24/04). Archi-faux. Toute cette histoire ne serait sûrement pas allée si loin si la politique ne s’en était mêlée. « Une maison détruite à coups de bulldozer, c’est un crève-cœur », avait déclaré, ironique, le député-maire de Saint-Tropez, Jean-Michel Couve, après la sortie du livre de Millau, Une campagne au soleil (éd. de Fallois, 2002), devant les caméras de FR3. Car, dans le Golfe, Millau s’est fait des ennemis.

Fin mai 2003, c’est le coup de tonnerre : la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence vient de condamner Millau à détruire la villa où, avec Arlette, sa femme, il comptait finir ses jours et qu’il habitait depuis 1989. Permis périmé et ne correspondant en rien à la maison effectivement construite, et qui plus est sur un terrain inconstructible : sur le site Sainte-Anne, « zone sensible » (mais, à Saint-Tropez, ne le sont-elles pas toutes ?) comme dit le Plan d’occupation des sols, le POS, il faut posséder a minima 5 000 mètres carrés pour pouvoir édifier une villa. Les époux Millau n’en ont que 4 000.

Draguignan, tribunal correctionnel, 21 juin 2002. Millau, qui se justifie d’avoir construit sa maison en 1988 et de l’avoir habitée dès 1989, bénéficie de la prescription : elle est de trois ans, les faits reprochés tombant tout naturellement en 1992. A la barre, Millau produit son acte d’acquisition daté du 15 avril 1988, assorti d’un permis de construire délivré par le maire de Saint-Tropez, Couve. En annexe, il exhibe, délivré par la même mairie, un récépissé de déclaration d’ouverture de chantier ; y sont joints les plans d’une villa d’environ 200 mètres carrés comprenant un étage. Sur les recommandations de l’architecte des bâtiments de France, Martial Fahrner, animé du seul souci de protection de l’environnement, l’écrivain accepte, sans y être légalement contraint, la modification des plans : va pour une villa de plain-pied. Son maître d’œuvre tropézien engage les travaux mais oublie un ingrédient : la demande en mairie d’un permis modificatif.

Pourtant, au départ, « La Vigne Sainte-Anne », personne n’y trouve à redire. L’adjointe au maire chargé du logement, Danièle Alix, la fréquente assidûment, et les maires Spada puis Couve (une fois retrouvé son fauteuil en 1993) y sont toujours reçus en grande pompe. Comme tout le monde d’ailleurs. Christian Millau, le dernier des Hussards, sait recevoir.

Tout commence avec un voisin, celui qui a le terrain mitoyen. Celui à droite, en entrant. Celui « qui est venu, qui a vu, qui a vaincu », du nom même de sa villa « veni vidi vici ». Et ça se présente mal. Une césarienne presque. C’est ainsi que l’histoire commence : Millau dénonce Crazover, Crazover dénonce Millau, Millau fulmine, Crazover bougonne. Tout y passe : plaintes, insultes, jets de détritus par-dessus les clôtures, déforestation sauvage, bras et, dit-on, doigts d’honneur. Procès contre procès, condamnations contre condamnations. Je te fais ci parce que tu m’as fait ça. Dans la cour de récréation, tous les coups sont permis, des coups sont échangés, des pierres envoyées sur les toitures. Tout ce petit monde se retrouve finalement au commissariat de police.

Parce qu’il n’a aucune sympathie particulière pour le gestionnaire de bureaux et de locaux commerciaux, parce qu’il est béat d’admiration devant l’écrivain, un capitaine de la Police nationale fraîchement débarqué de Paris et ignorant des pratiques locales, se charge du dossier : Crazover se retrouve en garde-à-vue, Millau est prié de cesser les hostilités. Un partout, la balle au centre.

Le policier a compris une chose : au talent, on pardonne tout. La preuve ? L’écrivain Céline, que Millau a rencontré, plusieurs fois, aux côtés de Rogier Nimier, le romancier décapoté. L’enquêteur prend alors le chemin de Sainte-Anne, afin de connaître cette bizarre trouvaille littéraire et y enregistre des épanchements et des confidences que Millau concocte de façon toujours plus subtile. Le policier va voir le journaliste devenu écrivain comme on allait, il y a longtemps, bien longtemps, Route des Gardes. Saint-Tropez a remplacé Meudon, et « La Vigne Sainte-Anne » est devenue le chemin de Compostelle. Millau se trouve identifié, estampillé et finalement humanisé.

A Saint-Tropez, la vérité (surtout judiciaire) ne trouve pas toujours son compte. Il sera très souvent malaisé de la circonscrire. L’officier de police judiciaire s’en moque : pour lui, « l’affaire Millau » est un prétexte. Objectivement, on ne peut pas lui donner tort.

Aix-en-Provence, Cour d’Appel, audience de janvier 2003. C’est la catastrophe. Comme le délibéré, Millau est vidé ce 27 mai 2003. La Cour ne retient rien de l’argumentaire de l’écrivain. Elle se fonde sur un fait nouveau apporté par … la commune de Saint-Tropez. En effet, c’est quelques jours après que Couve ait poursuivi Millau en diffamation ( le 10 mai 2002) que la mairie s’est portée partie civile dans l’action engagée (le 23 mai 2002) huit ans plus tôt ( !) par le voisin en question, alors confronté à de gros soucis judiciaires. D’abord le livre, ensuite la villa et non l’inverse…

Fallacieux, l’argument qui motive la décision de la Cour d’Appel ? Jugez plutôt sur pièces. Pour la mairie, c’est clair comme de l’eau de mer : la villa de Millau n’étant pas raccordée au réseau d’assainissement, voilà qui démontre qu’elle n’était pas achevée, donc que la prescription dont les juges de première instance ont fait bénéficier Millau doit tomber du même coup. Pour un coup, c’est en un. Une attestation de la CMESE – la Générale des Eaux – rédigée le 22 février 2002 à la demande de Couve, relative au raccordement au réseau de collecte des eaux usées de la propriété Millau, confirme l’existence d’un collecteur public sous le chemin Sainte-Anne… auquel elle n’est pas raccordée… Pour les juges aixois, l’affaire est simple : la villa n’est pas terminée en 1995, son propriétaire ne peut pas bénéficier de la prescription. CQFD. Comment la villa aurait-elle pu être raccordée en 1989 puisque le tout-à-l’égout n’existait pas chemin Sainte-Anne, et pas davantage en décembre 1995, date à laquelle Millau adresse à la mairie une déclaration de travaux exemptés de permis pour une extension de 19,60 mètres à usage de bureau ? Pourquoi cette déclaration a-t-elle fait l’objet d’un accord signé par le premier adjoint de la mairie de Saint-Tropez sous réserve du raccordement au réseau public d’assainissement ? Pourquoi la CMESE accusera-t-elle réception d’un chèque de Millau lorsqu’il fait une demande de raccordement ? Parce que l’argent n’a pas d’odeur… même s’il est question d’eaux usées. D’ailleurs, la jurisprudence de la Cour de cassation est constante en la matière : les travaux sont achevés à partir du moment où l’immeuble est affecté à l’usage auquel il est destiné.

A l’époque, l’information ne passe inaperçue, reprise par tous les médias. Sur les chaînes de télévision, on peut voir le célèbre co-fondateur du guide gastronomique, s’expliquer sur cette « extraordinaire » décision de Justice, son avocat, indiquer que, bien entendu, son client a immédiatement introduit un pourvoi en Cassation, et l’inénarrable voisin de Millau, Pierre Crazover, se frotter les mains en comparant « l’affaire Millau » à « l’affaire Pellerin » d’Antibes Juan-les-Pins. On aperçoit, au 19/20 de FR3, un Couve courroucé, annoncer que la foudre va bientôt tomber sur la tête de Millau, et qu’à Saint-Tropez, croix de bois croix de fer si on ment on va en enfer, « on va s’occuper de lui »… En réalité, le député-maire, « souffrant » selon son service de communication, ne réagit pas à cette décision de Justice ; FR3 a en réalité ressorti un document d’archive tourné en mars 2002 lors de la sortie du sulfureux livre de Millau, pour lequel l’écrivain a été poursuivi en diffamation par Couve qui a cru se reconnaître dans le personnage central de ce roman post-électoral, Max Farina. Procès pour lequel le député-maire est finalement débouté et condamné aux dépens.

Bref, rajoutez là-dessus le fait que Millau ait été le président du comité de soutien à Jean-Pierre Tuvéri, un haut fonctionnaire de l’OCDE à la retraite et candidat malheureux aux municipales de 2001 à onze voix d’écart contre Couve, maire sortant, et Millau est bon à jeter aux chiens. La question qui brûle les doigts mérite d’être posée : alors y aurait-il un lien de cause à effet entre les municipales de 2001 (difficilement gagnées), le livre de Millau (facilement vendu) et le contentieux d’urbanisme ? A Saint-Tropez, comme ailleurs, chacun a sa petite idée là-dessus.

Il est certain que la campagne électorale de mai 2001 a laissé des traces. Tout cela paraît invraisemblable. Mieux, c’est une histoire de fou(s) : la prescription, reconnue en première instance, est tombée… parce que la maison tropézienne de Millau n’est pas branchée au réseau d’assainissement… qui n’existait pas à l’époque ! On ne cherchera pas à savoir qui a déclenché la première vague du tsunami. Reste qu’étrangement, à cette querelle de voisinage qui dure et perdure depuis plus de dix ans, la Ville apporte sa pierre à l’édifice. Une cathédrale de constats d’huissier et de procès-verbaux.

Christian Millau a été contraint de démolir sa villa du quartier Sainte-Anne et doit payer la faramineuse amende de 150 000 euros à laquelle l’a condamné la Cour d’Appel, au motif de « construction sans permis »

« Ce Monsieur Millau, s’il voulait passer des jours tranquilles à Saint-Tropez, vous ne pensez pas qu’il aurait pu se conduire autrement ? », ricane aujourd’hui le député-maire même s’il affirme que tout cela n’a rien à voir avec ses difficultés relationnelles avec Millau. Vous pensez bien qu’un élu ne va pas régler des problèmes de diffamation personnelle par des coups bas de voie administrative. Ce serait… tropézien.

L’écrivain a quitté Saint-Tropez pour Saint-Mandé, dans le bois de Vincennes. D’un zoo l’autre.


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1 MESSAGES

Forum

  • Petit conte tropézien : l’affaire Millau
    le mercredi 13 février 2008 à 09:21, M.B a dit :

    Toutes les personnes qui se trouvaient dans l’entourage de couve a cette epoque savent que tout ceci ne se serait pas termine ainsi si le maire n’avait pas pas voulu se venger de la parution du livre de millau.Il le disait lui meme haut et fort.Demandez le au service Urbanisme de la mairie

    M.B

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