Paris intéresse les cyber-djihadistes

Voilà un démenti qui devrait contribuer à clore la polémique suscitée par la Une du magazine américain Time qui titrait fin novembre sur « la mort de la culture française ». Que les Cassandre ravalent leurs prophéties mensongères ! Paris, fleuron du rayonnement culturel français, reste définitivement une source d’attraction à l’international. La preuve : hélas, même les djihadistes s’y intéressent. Au point de disserter à longueur de pages sur le Net au sujet de notre belle capitale, ses sites prestigieux, ses centres commerciaux uniques. Et de les partager ensuite avec leurs milliers de coreligionnaires membres des forums pro-Al Qaïda dispersés de par le monde. Pour se préparer des vacances ? Pas vraiment.

Haro sur la « capitale croisée de la France »

La déferlante d’échanges sur ces forums clandestins exclusivement consacrés à « la ville des lumières » (sic) a été provoqué par un message lancé en arabe le 3 janvier dernier par un cyber-djihadistes à ses « frères » dans le monde, et plus particulièrement aux « moudjahidines du Maghreb islamique ». Cet énergumène appelle à identifier des cibles pour « frapper Paris » qu’il qualifie de « capitale croisée de la France ».

Pour convaincre ses destinataires du « bien fondé » d’un tel projet, l’auteur du message, qui utilise le pseudo de Mourabit Mouwahed, y décrit les objectifs. Outre provoquer « l’effondrement de l’économie française au niveau international », « mettre un terme à la poursuite de ambitions du Président Sarkozy dans les pays du Maghreb » ou encore « adresser un message aux pays voisins en Europe qui contribuent à la guerre contre les pays musulmans, comme l’Allemagne », des attentats contre la France permettraient de faire « tomber Sarkozy », dont il dénonce le « racisme à l’encontre des musulmans ». Mais aussi d’en finir avec « l’ensemble de sa politique » caractérisée par son « soutien aux dictateurs » et « sa participation à la guerre contre l’islam ». Plutôt inquiétant.

Raison d’Etat oblige…

Ces menaces pourtant très explicites contre la France et son Président, dont la teneur a été partiellement relayée par un organisme américain spécialisé et que le quotidien Le Monde a repris sur son site, n’ont étrangement pas du tout intéressé les autres médias nationaux. Pourtant ceux-ci se révèlent toujours prompts à reprendre les communiqués d’Al Qaïda qui circulent sur ces mêmes forums quand ils visent les dirigeants arabes et anglo-saxons…

Embarras ? Ou réflexe de frilosité, que quelques fermes recommandations, transmises par les services secrets français, qui suivent cette affaire de près, sont opportunément venues conforter sur le risque d’affoler les foules citoyennes ? Toujours est-il que les rédactions, encore refroidies par le carton rouge de la “raison d’Etat” invoquée pour justifier l’annulation du Paris-Dakar, ont enterré l’affaire. On n’en saura pas plus. A moins d’aller à la source et de se plonger dans les forums internet pro-Al Qaida, ce que Bakchich a fait.

Fort sentiment anti-français

La teneur des dizaines de pages web consacrées à l’étude de ce projet, nourries d’autant de contributions d’individus identifiés par leur seul pseudo, s’apparente clairement à un travail de repérage visant à une meilleure connaissance du terrain, donnée comme le préalable à une phase plus opérationnelle. Telle est l’analyse qu’on peut en faire. Si la réalité de l’avancée d’un tel projet reste difficile à vérifier sur le terrain, l’ampleur de l’adhésion qu’il rencontre au sein de la mouvance djihadiste et les précisions qui caractérisent son élaboration, jusqu’aux détails opératoires, sont particulièrement inédites, et révélatrices d’une montée en puissance inquiétante du sentiment anti-français. Morceaux choisis d’une pêche en eaux bouillantes :

• Les cibles. Pour pouvoir atteindre les objectifs mentionnés ci-dessus, il faut trouver les cibles qui y répondent. S’il revient « aux moudjahidines de les choisir et d’en identifier la pertinence », Mourabit Mouwahed indique les critères à retenir : ces opérations doivent d’une part cibler des « sites les plus populaires et à haute valeur économique » et d’autre part « des personnalités parisiennes prestigieuses, dont le Maire de Paris », seul cité en tant que tel dans ces échanges. Encore une fois inquiétant.

En revanche, la liste des sites parisiens recensés « pour étude » est largement exhaustive, chacun d’entre eux bénéficiant d’un fiche technique descriptive et d’une photo. Quasiment tout y passe : de l’Arc de Triomphe à la Tour Eiffel, en passant par le Champs de Mars et les enseignes phares présentes sur les grands boulevards et les Champs Elysée. Sans oublier bien sûr les grands hôtels et les cafés prestigieux qui y siègent. Des cartes de Paris et de ses grands axes, accompagnées de vues satellitaires de l’Ile de France et du centre de la capitale complètent le topo.

Les cyberdjihadistes n’oublient pas de citer leurs sources : Wikipedia, Google et Google Earth pour la localisation géographique…. Si la préférence de l’initiateur de cet appel va à l’aéroport Charles de Gaulle pour sa parfaite adéquation aux critères, il se montre emballé par la proposition alternative d’un nommé « Jaish Al-Zahef » qui lui a répondu en préconisant La Défense et à qui il demande « des renseignements complémentaires » en terme de « poids économique et d’accès au grand public, comparativement aux principaux ports et aéroports » de la ville.

• Le mode opératoire. Il existe là aussi plusieurs options. En réponse aux membres qui l’interrogent — toujours sur le même forum internet — au sujet « des modalités requises » pour réaliser ce projet, il préconise « l’attentat suicide » ajouté à « une prise d’otage dans un bâtiment public, à l’instar de l’opération menée par les héros tchétchènes » [en référence à la prise d’otage du théâtre de Moscou en 2002, NDLR], de façon à pouvoir exiger « la libération des frères retenus dans les prison des tyrans et des croisés ».

La suite, il la voit déjà, déroulant son scénario de fiction terroriste : « on menace de tuer les otages, une médiation est ouverte, les moudajhidines exigent une chose impossible, comme la libération des prisonniers de Guantanamo ». Du coup, « la France demande aux Etats-Unis de les aider, ce qu’ils refusent. Les relations entre les deux pays se gâtent gravement » Même chose avec Israël et ses prisonniers palestiniens : « le refus des Juifs aura pour conséquence d’affecter gravement les relations entre les deux pays, en plein réchauffement depuis la victoire de Sarkozy ».

Devant les scrupules formulés par Abou Qandahar, quant au risque de compter parmi les victimes collatérales des musulmans, Mourabit Mouwahed rassure son interlocuteur : « en France, la plupart des musulmans vivent dans les banlieues, et donc loin des centre ville et des lieux stratégiques, compte tenu de leurs mauvaises conditions de vie, ce qui démontre, s’il le fallait, la discrimination dont ils font l’objet » (sic).