À l’approche des échéances électorales d’automne prochain, le Président et chef de l’armée, Pervez Musharraf, alias MushA, ne sait plus par quel bout tenir la barbe des barbus.
Ces derniers mois, l’inextinguible menace islamiste s’échappe des provinces reculées pour éclabousser la capitale. S’approchant à pas de taliban du bunker douillet du Patron et de sa tripotée d’affidés en costume kaki. Pendant que les zones tribales sous administration fédérale frontalières de l’Afghanistan – non reconnues par Kaboul - s’enfoncent peu ou prou dans la radicalisation, affranchies de la mainmise du pouvoir central malgré un contingent de 90 000 hommes, les buildings d’Islamabad subissent les âpres assauts répétés des enturbannés.
Face aux sanglants attentats suicides, les sombres scènes de guérilla urbaine, les massacres de la mosquée rouge, les manifestations à la chaîne, les pertes et enlèvements de soldats, les rumeurs bruissent que le MushA brandirait fébrilement la menace de l’état d’urgence pour tenter de faire régner son autorité et asseoir son simulacre de pouvoir. Déclanchant un tollé dans la presse. L’emergency rule, en sus de restreindre la liberté de mouvement et de réunion, de réprimer certaines activités politiques et d’étouffer la presse, prévoit la réduction des pouvoirs du Parlement voire même sa dissolution. En guise de bouquet final, cela aurait pu repousser l’élection présidentielle et prolonger la session du Parlement, majoritairement acquis à Mush, d’une année supplémentaire.
« Une idée pernicieuse », titre l’édito du journal Frontier Post en présageant une réaction virulente de la société civile qui ne porte déjà pas le général dans son cœur. Entre les lignes, le journal des provinces du Nord-Ouest soupçonne MushA de fomenter sa « réélection en uniforme ». Défiant ainsi la loi fondamentale. Selon The Nation, le général chercherait une riposte à son ennemi viscéral, le juge Chaudhry. Fraîchement rétabli dans ses fonctions par la Cour suprême, celui-ci conteste avec verve la légitimité constitutionnelle d’un gouvernement militaire. Les supporters des militaires se réduisent comme peau de chagrin. Tant dans l’intelligentsia que dans le milieu politique sans parler de la rue, clairement hostile à MushA. « Celui qui est devenu une star aux yeux des businessman, des grands industriels et des nantis se retrouve perçu en horreur par les pauvres », résume le Frontier Post. Dans The Dawn, trois anciens ministres de la Justice éclairent sur le cadre d’application de l’état d’urgence qui « ne peut se faire qu’en cas de crise constitutionnelle, d’insurrection civile, de danger imminent d’agression extérieure ou de crise financière majeure Ce qui n’est pas le cas du Pakistan. Une crise politique ne suffit pas ». Et Pan, dans les ailes de MushA. Rebelote avec l’éditorial intitulé « État d’urgence, une voie d’issue ? », The Dawn pointe du doigt les motivations d’instrumentalisation de la constitution en jetant l’anathème sur « la combinaison de pouvoirs » dont dispose MushA tout en doutant de ses intentions démocratiques pour les élections à venir. L’ex-Premier ministre et opposante en exil, Benazir Buttho prend la plume pour exiger un « Président sans uniforme », quitte à aller en justice, prévient-elle. Cela tombe bien, la rivale de MushA est attendue avec hâte par les hommes de loi pakistanais pour comparaître dans une myriade d’affaire de corruption. Une rencontre informelle entre les deux ennemis s’est déroulée fin juillet à Abou Dhabi et n’exclut pas une alliance politique. Pour se maintenir, MushA serait prêt à faire une croix sur les charges qui pèsent contre elle. Place aux manigances et aux petits arrangements entre ennemis.
Fausse alerte ! Après avoir atermoyé toute la nuit de mercredi à jeudi, MushA se rétracte. Ouf… Le Pakistan ne fêtera pas ses 60 ans dans l’état d’urgence mais dans un climat tendu.
Contesté de toute part, l’envol de MushA vers un nouveau double-mandat semble délicat. Bien que seul candidat en lice pour le moment, sa reconduction dépend largement du choix stratégique de l’armée et de la position de l’ISI, les mystérieux services secrets. Mais aussi de la pression américaine accrue sur son dit « allié » dans la lutte anti-terroriste. Grand absent de l’ouverture de la Jirga [1] , dédiée à la lutte contre les talibans, MushA a tout de même fait le déplacement ce dimanche matin à Kaboul. Apportant ainsi son soutien à son homologue – sans pouvoir – afghan, Hamid Karzaï, pour tenter d’endiguer le fléau taliban.
Comme convenu, la présidentielle se tiendra avant les législatives, ce qui lui permet d’assurer sa reconduction par un Parlement sortant qui lui est acquis ric-rac.
[1] Assemblée traditionnelle rassemblant chefs tribaux et leaders politiques régionaux des deux côtés de la frontière pour résoudre les contentieux par le débat. Ce « grand conseil de la paix », germe depuis septembre 2006 dans la tête de Karzaï. Date à laquelle il a rencontré avec MushA, son altesse George Bush. Toutefois, nombreux chefs tribaux de l’Ouest pakistanais ont boycotté le Conseil. Par mépris de cette Jirga mais aussi par crainte de représailles des chefs talibans qui contrôlent les zones tribales et qui ont interdit la participation à ce conseil.