En lisant En remontant le Niger d’Arezki Mellal [1], j’ai pensé à ma voisine, Martine. Il y a quelques semaines, elle s’est offert un grand voyage en Afrique, circuit imaginé par une agence au nom très évocateur, quelque chose entre « Nature vierge » et « Magie noire ». Elle m’a envoyé une carte postale où il est question de tigres, de guerriers et de terre cuite. Que de l’authentique.
C’est un peu ça que déboulonne le dramaturge algérien dans cette pièce. Les travellers blancs en mal d’aventure sont ici une bourgeoise parisienne un peu sotte et son fils, apprenti homme d’affaires qui caresse l’idée de tuer sa mère pour lui piquer ses sous. Ce duo loufoque est accompagné d’un guide noir, Moussa, qui a tout du parfait « bon sauvage ». Cette pétaudière se traîne quelque part en Afrique, autour du fleuve Niger et ça vaut le détour.
La mère est irrésistible. Un peu brindezingue, elle s’exaspère de ne pas voir les lions, tigres et autres crocodiles qui peuplent son Afrique rêvée. Très attachée à son guide, elle lui propose de l’argent, une visa et s’échine à lui parler en « toi y en a ». Elle a un avis sur tout. L’excision ? Un art de vivre, une façon d’ôter « les pétales sur la fleur », d’aller « droit dans les profondeurs ». La guerre ? « Avec des embuscades et tout et tout. C’est fantastique ! » Les enfants soldats ? « Mais que font les parents ? Les enfants ne vont pas en classe et vous les faites travailler ! Cette fois c’est trop, il faut faire quelque chose ! » Et elle s’étonne : alors comme ça, les Africains ont des journaux, des hôpitaux plutôt que des vieux marabouts, pas possible, des routes !
Certes, Arezki Mellal force un peu le trait, mais c’est pour mieux s’en prendre aux clichés sur une Afrique encore mal connue des Occidentaux. Au mieux, ils ressemblent un peu à la mère et alignent les perles mais c’est sans grande conséquence. Au pire, ils sont comme le fils, caricature de l’homme d’affaires. Grand débutant, il veut s’essayer à l’implantation de McDo dans une zone quasi désertique. On lui conseille le trafic d’armes, plus lucratif et puis « l’Afrique n’a pas besoin de bouffe, mais d’armes ». En bon trafiquant, notre jeune loup contacte des chefs de guerre, des cheikhs arabes et essaye d’acheter tout le monde.
Lire Mellal, c’est rire un peu noir des maux qui rongent l’Afrique et ses habitants. L’écrivain algérien transgresse le politiquement correct, très souvent de mise quand il s’agit des Africains mais ça n’est jamais gratuit. Ce texte intelligent, salutaire et très drôle a déjà été donné en lecture au Théâtre du Rond-Point en 2005.
La mère : Vous avez plein de chèvres ! Biquette ! Biiquette ! En voilà une autre. Et encore une. Biquette ! Biqueeeeette ! Trois quatre cinq… Biiiquette ! (On entend une rafale de coups de feu) Mon Dieu ! Mais… on les a abattues ! Moussa ! Ils ont tué les chèvres !
Moussa : Il y a une mosquée Isabelle.
La mère : Quoi, c’est encore à cause de la mosquée ?
Moussa : Oui Isabelle.
La mère : Monsieur le guide pourquoi quand il y a une mosquée on tue les chèvres ?
Moussa : Madame, un arrêté local ordonne de tuer les chèvres dans un rayon de un kilomètre autour des mosquées.
La mère : Pourquoi ça monsieur ?
Moussa : Ca parce qu’un jour une chèvre avait pénétré de nuit dans une mosquée.
La mère : Et alors ?
Moussa : Elle est allée tout droit bêler dans le micro du muezzin.
La mère : Et alors ?
Moussa : Elle avait la même voix que le muezzin.
La mère : Et alors ?
Moussa : Et alors, les fidèles ont cru que c’était l’appel à la prière.
La mère : Et alors Moussa ? Et alors ?
Moussa : Et alors, les fidèles ont prié dans une mosquée à l’appel d’une chèvre.
La mère : C’est un sacrilège ?
Moussa : Pire ! on a décrété ce que vous savez.
La mère : Les chèvres doivent se tenir à une distance d’un kilomètre des mosquées (…)
[1] En remontant le Niger d’Arezki Mellal. Actes Sud-Papiers