Découverte d’un artiste atypique, musicien virtuose et grande gueule.
Babel Café, dans le 11e arrondissement de Paris. L’établissement est petit, les lumières sont tamisées, et à travers l’épaisse fumée de cigarettes, on devine péniblement les murs de ces grottes de Lascaux contemporaines dédiées à la musique et à la poésie. L’anachronisme enchante. C’est dans cette ambiance un peu surréaliste que joue régulièrement Mahdi D’El Asnam, musicien de génie. L’homme enflamme la salle et propose des solos renversants à une salle ébahie. Nul, durant ce moment de grâce, ne semble se douter des épreuves traversées par ce cinquantenaire, qui en parait 20 de plus. Seul son visage meurtri par le temps et les épreuves trahit son douloureux vécu.
Né en 1954 en Algérie, le jeune Mahdi développe très tôt une aptitude hors norme pour la musique. « De toutes façons avec les pouces que j’ai, je finissais soit cordonnier, soit guitariste », s’excuse-t-il presque dans un grand éclat de rire. Apres une enfance heureuse passée à peaufiner son art, il débarque en France nanti d’illusions, aidé, il est vrai, par un contexte politique particulier. Son idylle avec l’hexagone nourrit tout d’abord les ambitions de l’artiste. Reconnu et apprécié dans le milieu professionnel, il devient homme de l’ombre et artisan d’innombrables succès. Le gitan algérien comme il se définit lui-même enchaîne alors tournées et festivals, et vit allègrement de sa passion.
Mais à la fin des années 1980, l’histoire tourne au désastre. D’El Asnam se dit victime d’intimidations et voit sa vie menacée. De mystérieux interlocuteurs laissent planer une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Sous pression, l’homme craque et sombre dans l’alcoolisme. Pour lui, le nom du commanditaire ne fait aucun doute, et enrage à l’évocation de cette affaire surréaliste : « Les responsables agissaient au nom de l’État français. Nous vivons dans un pays où la liberté d’expression n’est qu’un leurre. Les artistes représentent clairement un danger pour les têtes pensantes de ce pays. Les pousser à consommer drogues et alcools diminue leurs champs d’actions et leur impact sur le public et la masse populaire. » La théorie du musicien, lourde de conséquences, consisterait donc à discréditer les icônes en les poussant à des consommations illicites et excessives. Plaisante pensée qui trouve un écho favorable chez nos nouveaux amis américains. Les artistes menacent l’autorité. Toutes proportions gardées, n’a-t-on pas appris récemment la mise sur écoute du dangereux John Lennon par le FBI dans les années 70 ?
Mahdi D’El Asnam garde une rancœur certaine contre ce pays qui l’avait fait roi à son arrivée. Cette descente aux enfers lui aura coûté près de 15 ans de sa vie. Ayant troqué la bouteille contre son instrument, il s’était retrouvé à la rue. Il ne doit son salut qu’à Johnny, gérant du Babel Café à Paris, l’ayant reconnu ce dernier le prend sous son aile et l’invite à contribuer à l’ambiance mystique et artistique du lieu. « Je n’ai pas seulement sauvé l’homme, j’ai surtout sauvé son art. »
Mission accomplie, aujourd’hui D’El Asnam a repris le chemin de la créativité. Il partage son temps entre les cours de guitare qu’il dispense au Babel et la préparation d’un nouvel album.
Babel Café, 101, bd de Ménilmontant dans le 11e. 01.49.23.00.63