Les hic du procès Milosevic

Filmé par Michael Christofferson, ce maxi-procès qui dura de plus de quatre ans ne donne pas une impression, à l’écran, d’infaillibilité divine, malgré son titre « Slobodan Milosevic, le jugement dernier ». Le réalisateur a choisi de faire parler longuement Geoffrey Nice, le substitut du procureur, un Anglais du genre dandy dont la collection de cravates bigarrées donne de curieuses couleurs à l’atmosphère mortifère de la cour de Scheveningen, près de La Haye.

La Venus de Milo

Il est vrai que Nice fut le principal animateur de ce procès, qui se termina brutalement, sans verdict, par la mort de l’accusé dans sa cellule. Une mort déclarée « naturelle », ce qui n’est pas invraisemblable vu l’épuisement progressif de l’ex-président serbe. Seul contre tous ! Milosevic refuse d’emblée de se faire assister par un avocat, puisqu’il ne reconnaît pas la légitimité du TPI. Une course contre la montre est engagée : la procédure est monstrueusement lourde, il faut apporter la preuve matérielle que le chef serbe a donné des ordres personnels conduisant « au génocide » des populations non-serbes de l’ex-Yougoslavie. Les juges sont à la peine, les preuves filent entre les doigts de l’accusation, le rusé Milosevic se défile comme une anguille. Des témoignages à charge s’effondrent. Mais ce procès est une épreuve physique. La force, l’endurance sont du côté de la machine judiciaire. Milosevic ne maîtrise pas l’énorme dossier, les audiences l’usent, son cœur faiblit au cours des mois. Goguenard, narquois, il fait bonne figure et semble constamment dire au tribunal : « je crèverai avant que vous puissiez me condamner ».

Et c’est finalement ce qui s’est passé.« Milo » est mort avant qu’un verdict puisse être prononcé. Il ne fut pas le seul mort de ce procès. Le témoin à charge capital Milan Babic, qui avoua ses crimes de guerre, s’est pendu dans sa cellule. Le premier président de la cour est mort. Au moins auront-ils eu le droit à une sépulture décente, à la différence des milliers de victimes des milices et de l’armée serbe. Car les dirigeants de Belgrade ont eu le problème classique des assassins : que faire des cadavres ? « No bodies, no crimes », dit un général serbe à ses subordonnés. (Pas de corps, pas de crimes ). Pour cacher l’ampleur des massacres, il leur a fallu déterrer les cadavres des fosses communes, trop voyantes, pour les transporter, par camions, dans des endroits plus discrets, au risque de perdre en route – c’est ce qui s’est passé parfois – des bouts de corps ramassés ensuite par les enfants sur le chemin de l’école. À la fin du XXe siècle…

« La justice des vainqueurs »

Mais revenons à la question du procès : Milosevic est-il responsable de ces crimes ? Politiquement, oui. Judiciairement, c’était quasiment impossible à prouver, du moins en 2002. Reprocher au réalisateur Christofferson de ne pas apporter ces preuves et l’accuser de ne pas avoir mené sa propre enquête, et finalement de dédouaner Milo, comme l’écrit Sylvie Matton dans Télé Obs , est « irrelevant », comme diraient les juges de La Haye (« hors de propos »). Le propos de ce documentaire austère mais passionnant est de montrer un procès et de nous questionner sur sa validité. Le TPI a été voulu, échafaudé, financé par l’ONU et ces grandes puissances qui n’ont pas été toujours brillantes pendant la guerre civile yougoslave (euphémisme…). À notre avis, le soupçon d’avoir organisé ce grand show judiciaire pour mieux s’exonérer de leurs fautes n’est pas du tout levé par ce documentaire. À plusieurs reprises, des membres du TPI affirment que ce procès doit avoir la même solidité que celui de Nuremberg, qui jugea les chefs nazis. La référence est calamiteuse car aucun légiste aujourd’hui n’ose plus défendre cette « justice des vainqueurs ».

Elle a de beaux restes au TPI. L’aveu en est fait par le substitut Geoffrey Nice lui-même, par cette confidence étonnante, glanée à la fin de ces deux heures : il avoue avec franchise être soulagé par la mort de l’accusé. Le verdict ? Peu importe. Un procureur qui ne veut pas de jugement alors que l’accusé est évidemment coupable, au moins complice ! L’essentiel, dit Nice, ce qui restera, ce sont les audiences et les minutes du procès. Curieuse conception de la chose judiciaire… Oui le procès Milosevic a été un show, parfois utile, mais souvent à coté de la plaque. Le TPI en tirera-t-il les leçons pour Karadzic ? Son procès sera-t-il moins long, avec des incriminations moins lourdes ? À La Haye, tout reste à faire pour asseoir la crédibilité de la justice internationale. C’est comme ça : les pires crapules ont droit à un procès équitable.