Qui a dit que le monde du football était gangréné jusqu’à l’os ? Samedi 6 septembre dernier se déroulait, à Erevan, le sulfureux match de football Arménie-Turquie. La surprise fut grande de voir, en tribune officielle, les dirigeants des deux pays assis côte à côte. Du jamais vu depuis 15 ans. La FIFA serait-elle plus open que l’UE ?
On le savait depuis quelques jours déjà, le Président Turc Abdullah Gül avait décidé de répondre favorablement à l’invitation de son homologue arménien Serge Sarkissian.
A l’occasion de l’importantissime match de qualification pour la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud, les deux équipes se rencontraient pour la première fois – d’après les archives de la FIFA. M. Gül a d’ors et déjà annoncé qu’il avait retourné l’invitation pour le match retour, prévu le 14 octobre 2009. Le président turc a également déclaré à l’issue de la rencontre : « j’espère que le match d’aujourd’hui aidera à faire tomber les barrières entre deux nations qui partagent une Histoire commune, et contribuera à établir une paix et une amitié régionale ». Un émissaire officiel turc des Affaires étrangères a lui aussi confirmé l’élan de son président : « je ne peux pas rentrer dans les détails, mais un consensus est recherché pour la normalisation de relations bilatérales ».
Pourtant, Turcs et Arméniens n’avaient plus de relations diplomatiques depuis 1993, année où l’Arménie prêta main forte au Haut-Karabakh, une province indépendantiste d’Azerbaïdjan, un pays accessoirement proche allié de la Turquie en sa qualité de fournisseur d’énergie de la région. La question de la reconnaissance du génocide arménien de 1915 est également au centre des frictions des deux nations.
Même si ce match fut une superbe occasion pour renouer des liens entre ces frères ennemis, la crise du Caucase est, semble-t-il, une des raisons principales pour laquelle on assiste aujourd’hui à ce rapprochement. En effet, le processus de réconciliation s’est accéléré en raison du conflit géorgien et de la nécessité de souder cette zone géographique. La Turquie a dans ce sens formé une « Plateforme de Stabilité et de Coopération dans le Caucase » pour encourager les liens politiques et économiques avec les 5 voisins limitrophes, y compris l’Arménie.
Attendu depuis fin 2007 et la date du tirage au sort de la Coupe du Monde 2010, ce rendez-vous très attendu a été excellemment négocié.
C’est que la « diplomatie du ballon rond » n’est pas vaine !
Rappelons-nous du 21 juin 1998, qui vit s’affronter les États-Unis et l’Iran au cours de la phase finale de cette même compétition en France. Pour la petite histoire chaque joueur iranien avait remis un bouquet de fleurs blanches à son homologue américain, et au lieu de poser individuellement pour la photo du match, iraniens et américains se mêlèrent pour le symbole mélangeant ainsi leurs couleurs pour la postérité. D’autres faits similaires ont pu être observés dans le football récent, le côté idyllique en moins. On se souvient tous du France-Algérie du 6 octobre 2001, match durant lequel la rencontre avait dû être interrompue à la suite de l’intrusion de multiples supporteurs sur le terrain.
Comme quoi le football n’est pas voué à résoudre les conflits internationaux, c’est d’ailleurs loin d’être son rôle. Cependant, il est peut-être plus efficace que les instances européennes – qui ne participent plus à ce dossier épineux depuis 2004, année où le projet d’adhésion de la Turquie à l’UE tomba au point mort. A quand Sepp Blatter, le Président de la FIFA et Michel Platini, Président de l’UEFA, en conférence aux Nations Unis ?
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