Les travailleurs chinois sont à la fête. Soudainement soucieux des dommages collatéraux de « l’économie de marché socialiste », le vénérable régime a fait passer une loi qui protège les salariés des employeurs peu scrupuleux.
La République Populaire de Chine (RPC) n’avait pas vécu de révolution depuis 1966. Elle se prépare à en connaître une nouvelle. Serait-ce la fin du « bon vouloir » des patrons ? Une véritable révolution pour l’humanité chinoise, souffrante et laborieuse ? Table rase d’une exploitation passée ? Le « pouvoir au peuple » comme un certain analyste l’a écrit dans le China International Business Magazine ? Le 1er janvier 2008, « l’atelier du monde » rendra effective la Nouvelle loi sur les contrats de travail. Après une longue méditation législative débutée au printemps 2006, cette dernière a été définitivement votée le 29 juin dernier lors du Congrès National Populaire de la RPC. Il était temps : la question du travail reste l’une des questions les plus problématiques pour le gouvernement et sa fumeuse « économie de marché socialiste ».
En réponse à l’accroissement des inégalités sociales criantes de ces dernières années, les dirigeants chinois, soucieux de l’avenir conceptuel et réel de leur « société harmonieuse », (cf. Bakchich n°56) ont décidé de resocialiser le pays. En 2005, près de 63 % des conflits du travail étaient enregistrés dans les municipalités de Beijing et de Shanghaï, ainsi que dans les provinces du Guangdong, Jiangsu, Shandong et du Zhejiang. Donc dans les villes et les provinces les plus développées et celles qui ont le plus profité des réformes économiques, selon les statistiques du Ministère du Travail et de la Sécurité Sociale. Conscients que le nombre des conflits soumis à arbitrage a triplé entre 2001 et 2006 (tout de même 447 000 cas l’an passé), les autorités ont pris le problème à bras le corps.
Malgré l’existence d’une législation sur le travail et une pléthore de réglementations aux niveaux local, provincial et national, celles-ci n’étaient que peu appliquées. Cette nouvelle loi sur les contrats de travail devrait consolider et unifier l’ensemble de ces législations. Elle s’appliquera à tous les employeurs, de la multinationale chinoise ou étrangère à la mono-entreprise. Tout employé devra être pourvu d’un contrat écrit. Et dûment signé par le patron. Auquel cas, ce dernier pourra être pénalement puni. Une révolution ! En outre, les salariés pourront réclamer légitimement une double rémunération pour chaque mois travaillé sans contrat et ce, à hauteur de 12 mois. Elle imposera également aux patrons de tenir à jour un livret des employés stipulant l’ensemble des règlements liés au recrutement, à l’emploi et au licenciement au sein de l’entreprise. Jusqu’à présent, la question des contrats de travail était gérée selon le bon vouloir des employeurs, sans recours légaux pour les salariés.
Il n’y a pas dans cette nouvelle loi de chapitre consacré spécifiquement à la question des conflits au travail mais plusieurs articles réaffirment la possibilité pour les employés de poursuivre en justice (Tribunal du Travail, l’équivalent de nos Prud’Hommes) leurs employeurs et de demander des dommages et intérêts. Deuxième vraie révolution ! Par le passé, il était interdit aux travailleurs de réclamer quoi que ce soit…
Cette loi préfigure donc, en théorie, une inversion des rapports de force entre employeurs et employés. Reste à savoir s’il s’agit d’une mutation en profondeur ou d’une simple continuité du régime socialiste sensé reposer sur le principe fondamental de la dictature du prolétariat… Les entreprises étrangères, elles, n’ont pas attendu de savoir de quoi il en retourne : pendant que les cabinets d’avocats chinois commencent à saliver, elles, surtout les américaines, régularisent leurs ouvriers à tour de bras.