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Hommage tardif

vendredi 1er décembre 2006 par La Rédaction
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Honte à nous pour les siècles des siècles ! Nous n’avions pas encre salué la mémoire de Bertrand Poirot-Delpech, rappelé à Dieu le 14 novembre dernier. Bien heureusement, notre chroniqueur Gilbert Comte a fouillé dans ses cartons, et exhumé une lettre qu’il avait adressée à l’académicien.

Paris, le 16 avril 2003

Mon cher Bertrand,

En 1995, puis en 2001, vous traitiez chacune de mes deux lettres à Jean-Marie Colombani avec cette condescendance matoise toujours aux aguets dans vos yeux.

Vos réponses me mettaient dans la peau d’un ronchonneur perpétuel, rongé par la manie d’écrire « aux directeurs de journaux ». La face cachée du monde administra à votre patron une correspondance d’un tout autre volume. Nul n’oserait soutenir qu’il y répondra point par point. Les poursuites judiciaires annoncées début mars ne sortirent de chez l’avocat qu’au terme d’une cuisson laborieuse. Après un si long délai, le moral de la troupe commençait à faiblir dans la maison.

Voici quelques mois déjà, la condamnation d’Alain Minc pour plagiat lui porta un rude coup à la tête. Serrez-vous toujours aussi cordialement la petite main copieuse ? Il préside encore le Conseil de Surveillance –titre et fonction ne s’inventent pas après le verdict-avec une santé d’armoire normande. Vous imaginez un responsable du journal encore à son poste après une telle déconsidération aux temps de Beuve, Robert Gauthier, Vianson, Fauvet ? Il aurait dû prendre immédiatement la porte, celle de derrière rue de Helder.

Pour ma perpétuelle surprise, vos yeux ne se détachent jamais de la période 1940-1944. Voilà qu’elle offre un rapport inattendu mais instructif avec les révélations printanière de Cohen et Péan. Peut-être vous souvenez-vous des troubles de conscience jetés par l’apparition des panzers en zone libre. Un journal pouvait-il continuer de paraître sous leur surveillance ?

Pour avoir manqué son sabordage de trois jours, Le Temps y laissa la peau à la Libération. Le Figaro, lui, sauva la sienne pour avoir mieux joué dans l’autre sens. Personne ne les tracassa pour n’avoir pas protesté contre les décrets antisémites. Les résistants façon Colombani-Plenel n’étaient pas encore nés. Ils n’avaient pas reçu les leçons de votre intransigeance.

Dans le même ordre de scrupules à l’usage des consciences délicates, j’aimerais avoir combien de mois, de semaines, quelqu’un peut continuer à écrire dans Le Monde après la parution du réquisitoire de Péan et Cohen, sans qu’une vive rougeur lui envahisse le front ?

Ma question ne concerne pas les débutants tenus par un récent mariage, des traites à payer, trois enfants à nourrir, la peur de perdre leur gagne-pain. Elle s’adresse aux notables cossus de votre âge, sans besoins particuliers, libre au temporel comme au spirituel selon Péguy, et plus spécialement comme vous intraitable sur les principes, dédaigneux des honneurs factices, des fausses gloires, des positions officielles, sourcilleux héritiers des dreyfusards, ennemis de la Raison d’Etat et de son avatar contemporain, la Raison de l’Etablissement. Sur ce thème, une seule phrase de vous peut me convaincre : « Gilbert, comme Dreyfus, Colombani, Minc et Plenel sont innocents ». Je vous jure qu’à l’instant mes yeux s’empliront de larmes. Cette phrase, je la lirai aux oiseaux du Luxembourg et deviendrai moi-même un rossignol. Bien sûr, ma vieille et ferme considération pour Péan n’y résistera pas. à l’instant il se transformera sous mes yeux en citrouille, en crapaud baveux, en dégoûtant cancrelat, père de toutes les ordures, en têtard immonde, sans avenir, en ostrogoth sinistre échappé de la 5e colonne, un débris des périodes les plus sombres de notre histoire. Voyez, une simple phrase peut suffire à mon bonheur. Au nom de notre si ancienne amitié, de rapports entre nous si clairs, si simples, si confiants, se refusera-t-elle ? Allons, un bon mouvement, et courage ! Je vous souhaite en bonne santé et vous assure de mes sentiments à votre égard, toujours aussi gracieux qu’intrépides.

Gilbert Comte


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