Nos confrères camerounais ont relu Illusions perdues, et s’en inspirent enfin
Payés au lance-pierre, les journalistes camerounais ont la fâcheuse habitude de se faire rémunérer par leurs interviewés. Les naïfs organisateurs d’événement culturel en sont pour leurs frais. À peine la manifestation terminée, une nuée des folliculaires, dont la seule ambition est d’empocher 5.000 ou 10.000 CFA (7,5 ou 15 euros) au titre de la « couverture médiatique », les assaille. Ce qu’on appelle « le gombo », « le perdiem » ou, par euphémisme, « l’argent du taxi ». Toute « couverture médiatique » se monnayant ainsi en francs CFA, quel que soit l’événement, l’affluence journalistique est proportionnelle au montant des perdiem.
Fort répandue, la pratique a donné naissance à un nouveau genre journalistique : le Hiltonisme, qui consiste à récupérer le gombo en écumant tous les lieux huppés – le fameux hôtel Hilton de Yaoundé étant le plus connu – où sont organisés séminaires, colloques et autres conférences de presse… sans jamais écrire une ligne ! Efficaces, les Hiltoniens sont bien organisés : ils se retrouvent chaque matin à leur quartier général – un bar du centre ville de Yaoundé qu’ils surnomment « le Desk » – pour dresser la liste des cérémonies du jour et en expurger d’une main experte toutes celles qui n’ont pas de budget « Presse ». Étrange « conférence de rédaction » qui fait office de plan de bataille…
Une fois sur place, les Hiltoniens déploient des trésors d’imagination pour jouer les grands reporters. Inscrits auprès des services de presse sous le nom de journaux à la parution plus qu’épisodique (L’œil de la nuit, Le Clignotant, La Relève, Cameroun nouveau, Le Piquant, etc.), ils lancent des regards pénétrés aux organisateurs, noircissent fiévreusement leurs calepins et se précipitent, dès la fin de la conférence, en brandissant leur magnétophone vers tous ceux qui ont l’air d’avoir quelques sous en poche. L’appareil, rebaptisé « gombophone », n’est évidemment qu’un leurre, un attrape-gombo. À tel point qu’on voit parfois les Hiltoniens faire tourner leur gombophone à vide, sans même avoir pris la peine d’y glisser une cassette. L’essentiel est d’avoir l’air suffisamment passionné pour convaincre les interviewés de financer une si professionnelle « couverture médiatique ».
Et si par malheur les pigeons refusent de mordre à l’hameçon, les Hiltoniens furibards réactivent leurs fantomatiques gazettes et dézinguent les pingres sous n’importe quel prétexte. Au Cameroun, rien ne sert de trop écrire pour vivre de sa plume.