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Gueules de Buea

mercredi 27 décembre 2006 par Moussa Ka
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La répression féroce d’une grève d’étudiants en médecine comme illustration des injustices que vit la partie anglophone du pays

Le Cameroun de Paul Biya a ses petites traditions. Lorsque les étudiants anglophones se révoltent par exemple, le pouvoir accueille leurs revendications avec des mitrailleuses. Ce fut le cas en avril 2005, à Buea, ville universitaire de la partie anglophone du pays, où la troupe tua deux étudiants. Ce fut à nouveau le cas, toujours à Buea, à la fin du mois dernier.

Oral de médecine

«  Chaque fois que le régime au pouvoir se trouve un rien menacé, il se défend en payant quelques salauds (policiers et soldats illettrés) prêts à tuer et à assassiner à vil prix », constatait en décembre 2005 le politologue Achille Mbembé dans une tribune magistrale consacrée à la répression des étudiants camerounais [1].

À en croire les étudiants que Bakchich a rencontré à Buea courant décembre, les «  salauds » – qui n’ont jamais été inquiétés pour le meurtre des deux étudiants de l’an dernier – continuent d’agir en toute impunité, tuant, blessant et même violant aveuglément.

Rose, étudiante en première année, a assisté à de véritables scènes de guérilla urbaine pendant près d’une semaine, fin novembre. Un baptême du feu pour cette jeune fille de vingt ans qui rêve de politique. Aujourd’hui réfugiée chez ses parents, elle évoque les étudiants brutalisés, les passants mitraillés, les rixes policières dans les quartiers. Elle parle aussi des ses copines de la « mini-cité », la résidence universitaire où elle habite : quelques jours après son départ, elles ont reçu la visite nocturne d’une bande de violeurs « en uniforme » qui en ont abusé plusieurs avant de piller les turnes . Les choses sont allées plus loin encore, si l’on en croit certains journaux : les flics seraient allés jusqu’à ramasser une gamine de douze ans dans la rue, avant de la violer « dans un coin obscur » [2]de l’Université …

A l’origine de cette furie : la protestation des étudiants de Buea contre le tripatouillage, par le ministère de l’Education Supérieure, des résultats d’un concours de médecine. Une pratique courante dans un pays où les dirigeants corrompus confondent médiocratie et méritocratie. Une pratique évidemment inacceptable pour les étudiants, notamment anglophones, qui s’estiment victimes d’une forme de favoritisme institutionnalisé.

« Les résultats du concours ont donné 127 admissibles, presque tous anglophones puisque le concours était en Anglais, explique un étudiant. Mais quand la liste a été visée par le ministère, on s’est rendu compte qu’il avait ajouté 26 noms [tous francophones, ndlr]. C’est pour cette raison qu’on s’est mis en grève : pour qu’on nous dise pourquoi, et comment, ces noms ont été ajoutés ; et pour empêcher la tenue des oraux que l’administration avait promis de différer ». Le ministère n’ayant donné aucune explication sur le tripatouillage des listes et ayant déployé l’armée pour assurer les oraux des 26 candidats-surprises, la situation a dégénéré.

Syndrome du colon irrité

Derrière la corruption que dénoncent régulièrement les syndicats étudiants affleure une autre question, très sensible quand on connaît le kaléidoscope identitaire camerounais : celui des «  équilibres régionaux » que sont censés respecter tous les concours qui ouvrent à la fonction publique (c’est le cas du concours de médecine). « Si l’Etat veut faire respecter les “équilibres régionaux”, il doit le faire pour tous les concours et dans toutes les régions, insiste David Abbia, qui vient de passer neuf jours en cellule pour la seule et unique raison qu’il est le président du syndicat des étudiants de l’université de Buea (University of Buea Student Union, UBSU). A Douala, pour le même concours, personne n’a parlé d’“équilibres régionaux”. A Yaoundé non plus, où les “équilibres régionaux” ne sont jamais respectés. Pourquoi on insiste à ce point quand il s’agit de Buea ? »

Les « équilibres régionaux » comme paravent au tribalisme ? « Le problème n’est pas à strictement parler celui du tribalisme, poursuit David Abbia. Le problème est celui des intérêts personnels qui l’emportent trop souvent sur l’intérêt général. Si bien qu’au final, on est bien obligé de constater que la province du Centre [Yaoundé, francophone ndlr] est sur-représentée dans tous les secteurs de la société ».

Les salauds

Extrait de la tribune d’Achille Mbembe dans le Messager du 13 décembre 2005

« Depuis le début des années quatre-vingt-dix, ce ne sont donc plus quelques individus, mais toute une génération qui est sacrifiée sur l’autel d’une raison d’État dorénavant ordonnée à la jouissance privée de quelques-uns. Tant que durera la morale de l’esclave, la génération actuelle n’aura, strictement parlant, aucun futur hors la débrouillardise. Bientôt, elle ne pourra même plus, comme auparavant, choisir de s’exiler. Son présent restera totalement assombri. Elle continuera de faire, dans sa chair, l’expérience immédiate de la violence du monde. C’est à reproduire cette violence et à empêcher toute rupture avec la morale des esclaves que travaille l’État chaque fois qu’il pourchasse les jeunes, refuse d’écouter leurs doléances, les traque comme s’ils étaient des ennemis sociaux, y compris au sein même de l’enceinte universitaire, envoie à leurs trousses des bandes de soldats et policiers pour la plupart illettrés, les yeux injectés de sang, shootés à l’alcool et au SIDA, qui les enfument à fortes doses de gaz lacrymogènes, lorsqu’ils ne tirent pas à balles réelles, tuant au passage, et dans l’impunité la plus totale, deux, trois ou quatre, nul ne sait vraiment combien, comme ce fut le cas à Buéa il n’y a pas si longtemps. »

Rose, l’étudiante de vingt ans, s’étonne aussi d’avoir à parler Français chaque fois qu’elle s’adresse à un policier, qu’elle va payer sa facture d’électricité, chaque fois qu’elle va à l’hôpital… Une description peut-être abusive, mais qui illustre le sentiment d’injustice que ressentent nombre d’anglophones camerounais ; et que conforte l’attitude des gorilles en uniforme qui patrouillent dans les rues de Buea, l’arme à la ceinture et la francophonie en bandoulière, trois semaines après les émeutes. «  On a connu les Anglais, s’amuse un vieil homme qui sirote une bière au bord de l’interminable rue principale de la ville. Alors, vous savez, les gars de Yaoundé… »

« Je crois que beaucoup de nos problèmes remontent à 1960 [l’indépendance du Cameroun], à la conférence de Foumban qui a scellé la réunification des deux parties du Cameroun [3] et au type de politique coloniale qui a été menée dans ce pays, conclut David Abbia de l’UBSU. La plupart de nos dirigeants aujourd’hui sont le produit du système assimilationniste français où seuls ceux qui acceptaient le mode de vie français étaient considérés. On comprend pourquoi il y a si peu de place pour la jeunesse dans ce pays aujourd’hui, si peu d’espace pour les idées nouvelles ! On comprend pourquoi nos dirigeants, au lieu de cultiver l’amour du pays, préfèrent détourner les milliards de la Banque Africaine de Développement ou de la Banque Mondiale pour s’acheter des maisons en Europe ! » On comprend aussi, si l’on peut dire, pourquoi les prédateurs du pouvoir camerounais n’ont trouvé d’autres solutions que de noyer dans le sang les questions qui leur sont adressées.

[1] Achille Mbembé, « Chemins du Golgotha : À propos des violences contre les étudiants au Cameroun », Le Messager, 13 décembre 2005.

[2] Un étudiant échappe à une tentative d’assassinat à Buea ! », La Nouvelle Expression, 8 décembre 2006

[3] La conférence de Foumban (juillet 1961) institue une « fédération » rassemblant les parties anglophone et francophone du Cameroun. Mais le terme de « fédération » produit un quiproquo : Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun, y entend un État ultra-centalisé tandis le leader anglophone John Ngu Foncha y voit une confédération dans laquelle Buea serait la véritable capitale du Cameroun occidental

Voir en ligne : in Bakchich # 14

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