F1, pompe à fric

C’est le genre de papier qui est chagrinant à écrire. Le sujet est tellement con, tellement enfonceur de portes dégondées, qu’on se demande pourquoi user un peu de sa vie pour l’écrire… Mais le journalisme est un devoir sacré et les cons ne doivent-ils pas mourir ? Ainsi donc, différents lobbyistes, qui comme Milady de Winter, portent un tatouage (pour eux, l’euro en effigie), entendent nous gratifier, à Flins-Les Mureaux en Ile-de-France, d’un magnifique circuit de Formule 1 et nous ne serions pas contents ! Quoi de plus moderne, de plus frissonnant, de plus « aventuresque, » de plus « romantico-pipolesque » qu’une course de F1 ? La refuser serait faire preuve d’un mauvais goût dont même Bigard ne saurait faire preuve.

Je vois déjà arriver les Total missiles tirés par les initiés qui se préparent à me cuisiner à la « sauce José Bové ». Voilà bien un vieux con qui ne s’éloigne pas de sa lampe à huile et ne comprend rien aux dix cylindres à soupapes contrôlées à air comprimé. Justement non. J’ai passé 25 ans de ma vie à adorer la chose bagnolesque et suis même détenteur, en la matière, d’un record du monde de conserve avec Franz Humel et Jean-Pierre Frison. Ça vous la coupe. Donc, pour avoir vécu la F1 dans l’intime, comme un repenti du KGB j’en connais les secrets, tous vilains, et le peu d’arguments qu’il y a à laisser vivre plus longtemps cette entreprise polluante et indigne de la civilisation.

Dans la F1, j’ai croisé des samouraïs pacifiques, des artistes, comme Gilles Villeneuve, qui ne faisaient que passer, le temps d’une queue de poisson, puis se barraient au ciel avec une sirène. J’ai connu « Néné » Arnoux, autre seigneur resté en vie, qui s’amusait avec le danger comme d’autres avec un flipper. À l’époque, le pilote avait les pieds au-delà du niveau de l’essieu avant et, protégé par une carrosserie en plastique Gilac, genre cuvette pour la lessive, il était sûr de perdre (au moins) ses deux jolis panards au moindre choc. Vous allez dire, ce type déconne, boit du sang et des larmes. Non, plus gentil et pacifique que moi, vous ne trouverez pas. Mais les dingos d’alors qui roulaient à 300 à poils avaient en tête un sens de la vie vécue comme en intérim qui en faisait des êtres rares, donc formidables à rencontrer. Le dernier de la race s’appelait Ayrton Senna, je l’ai vu mourir à 100 mètres de mon verre de gin tonic, dans un mur d’Imola.

Depuis la F1, qui était une affaire de fric et de froc (il fallait en avoir dedans), est devenue une simple histoire de pognon, un jeu vidéo chiant dont on se demande qui il peut intéresser en dehors de quelques chinois ou émiratis qui vivent un ennui ordinaire, et qu’un rien épate. Aujourd’hui, jetez à 300 à l’heure votre auto contre du béton et vous sortez en vous époussetant, même pas mal. À partir du moment où le risque est si faible, conduire n’importe comment est à la portée du moindre fils de petits bourgeois gavés de karting et de Blédine. Donc plus de prolos derrière les volants Momo pour courir en F1 il faut payer, et très cher.

À une époque, « Sport Auto » m’avait demandé de faire des « portraits » de pilotes. J’ai vite arrêté tant ils étaient unaniment insipides, inspirés par une trilogie, qui ne devait rien à celle de Claudel, quoique le fric, les gonzesses et les jolies maisons jouaient un rôle qui occupait tout l’espace libre de leur cerveau. Faute d’artiste à rencontrer, de marginaux à décrypter, j’ai renoncé à ces « portraits », galerie molle et tiède où Balladur aurait fait figure d’un énergumène à la Pete Doherty.

La F1 c’est le cirque Ecclestone. Ecclestone comme on dit Pinder ou Zavatta. Le minuscule petit vieux anglais, qui laisse dire avec délice qu’il a peut être participé au hold-up du train Glasgow-Londres (2,6 millions de livres en 1963), est le patron de ce barnum de Formule 1. Son compère Max Moslay, fils d’un nazi britannique qui, pour s’amuser, aime assez, en compagnie de putes, se travestir en prisonnier des camps de la mort, n’est là que pour représenter une Fédération Internationale de l’Automobile dont la principale mission est d’obéir à Bernie Ecclestone.

Si vous voulez une comparaison, imaginez (à dieu ne plaise) que le bon monsieur Aulas de [Olympique Lyonnais soit devenu le propriétaire du championnat de foot de Ligue 1. La F1 est donc un spectacle, mais pas plus que la Foire du Trône, la grande roue, l’aquarium de la Porte Dorée ou les parades de Royal de Luxe. La différence, c’est que ça fait un bruit d’enfer, que ça pollue à mort et que ça détruit les paysages. Tout ça pour faire rouler des bagnoles au moment où nous sommes menacés du vélo pour tous.

Le pompon de la F1, c’est le fric. Dans le classement des nababs anglais, Bernie est à la hauteur de la reine, c’est dire si ça fait de l’équivalent carbone. Pas un seul truc, en F1, n’est imaginé gratuit. Tout doit conduire vers le wagon de thunes, dollars et euros qui flottent alors vers des ports d’attache où le secret est très bancaire. Tout cela est si limpide que, quand il a demandé à s’introduire en bourse, le bon Bernie a reçu un « niet » (pour « opacité ») de la part de la Commission européenne, pourtant une bonne fille.

Bagnoles roulant au bouclier fiscal, spectacle puant et bruyant : qui a besoin aujourd’hui de ce truc ringard qui n’est plus qu’un mauvais argument pour ne pas aller au square avec sa copine : « je peux pas, je regarde le Grand Prix ! » ? Toutefois, en ce qui concerne le projet qui doit dévaster l’Ile-de-France au niveau de Flins-Les Mureaux, il y a un élément encourageant. C’est de savoir que Prost est dans le coup de ce projet débile. En général, dès que l’Alain, le comptable de Saint-Chamond, touche à la F1, ça foire. Il y a donc un avenir pour les amoureux de la feuille à l’envers et pour les petits oiseaux.

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