Eject le textile, l’électronique et la lutte contre l’oppressante Chine, Taïwan s’active aussi dans la mondialisation de l’art. C’est le message du Centre Culturel de Taïwan à Paris qui, pour l’occasion du Festival OFF d’Avignon, a loué une salle pour six compagnies d’arts vivants issues de l’île du sud-est de la Chine. Dans des styles très différents, la tradition sert la modernité dans ces spectacles qui vont de la danse à la marionnette en passant par le cirque, ou encore l’adaptation du Mac Beth de Shakespeare version classiques asiatiques. Cette revue qui se veut un tour d’horizon de la scène contemporaine taïwanaise fonctionne bien, et permet de découvrir quelques perles.
En matière culturelle comme ailleurs, Taïwan, en retrait par rapport à la grande République de Chine, cultive sa singularité. L’avènement de la démocratie des années 80 lui a donné l’occasion d’un renouveau dans sa création artistique. C’est ce qui a séduit Craig Quintero, metteur en scène américain installé à Taïwan depuis le début des années 90. L’artiste, professeur d’arts vivants dans une université de Taipei, y a fondé sa compagnie, le Riverbed Theatre. Elle présente un spectacle intitulé Riz Soufflé, condensé de ses créations depuis sa naissance, en 1998. Peut-être le plus original de cette programmation, le plus étrange en tous cas. Américains et Taïwanais dialoguent pour créer un théâtre expérimental, plus proche de la performance que du théâtre au sens classique. « Qu’est-ce que c’est que ça ? ! Ce n’est pas du théâtre !, s’écrie une dame blonde, à la sortie des 50 minutes de représentation, mais où est-ce qu’ils veulent en venir ? ! » Au risque de troubler, la cohérence n’est pas narrative, mais bien émotive.
Sans paroles, Riz Soufflé est un spectacle visuel sur l’intimité. Avec des mouvements lents, les acteurs déploient une série de tableaux vivants, hantés par des personnages surréalistes. Ils évoluent tantôt dans le silence, tantôt sur une musique faite de trois notes de piano, ou encore sur des chansons enfantines et inquiétantes. Troublant par sa violence toute en suggestions, Riz soufflé scrute en nous ce qui tiraille, avec finesse. La mort est omniprésente, le sexe, la filiation et la création, organique ou artistique, se croisent dans un seul thème : la recherche de soi. Dans la beauté et la douleur.
Des rideaux blancs sont tendus au fond de la scène, une caisse verte trône au milieu, flanquée d’une chaise où vont se succéder des scènes troublantes. Les personnages se croisent, se soumettent gracieusement les uns les autres, une jeune fille douce en robe blanche remplit d’eau le gosier d’une autre, austère ; des fantômes de René Magritte chantent, un personnage à tête de faune poudré de blanc ouvre une petite maison de bois, une tête vivante chante à l’intérieur ; un grand tuyau transparent dans la bouche, les voies respiratoires sont allongées, extirpées du corps, dans une plainte languissante ; un personnage à tête plate, dessinée, s’approche, puis change de visage ; les codes se troublent, nos sens aussi.
« Ce n’est pas joué, c’est du réel qui se passe sur scène, les acteurs vivent leur propre expérience, c’est ce qui fait la force de l’émotion, raconte Craig Quintero, le succès c’est quand le spectateur s’est vu lui-même, a partagé une expérience » À la manière d’un rêve, Riz soufflé ouvre des portes derrières lesquelles se cache l’intime. Une esthétique hybride se construit, au service d’un langage intuitif.
www.riverbedtheatre.com Le Funambule en Avignon, à 18h50, jusqu’au vendredi 25 juillet 2007