Tibet, le dessinateur de "Ric Hochet", est décédé à 78 ans. Natif de Marseille, pilier de l’école de BD dite "franco-belge", il laisse à ses lecteurs une imposante bibliographie.
Tibet est mort et c’est pas le Pérou pour les amateurs de BD "à la papa" et de jeux de mots, deux disciplines dans lesquelles le lascar Gascard – de son vrai nom – excellait.
Auteur de Chick Bill ou de Ric Hochet, il laisse une impressionnante production, qui aura accompagné plusieurs générations de lecteurs… dont certains sont devenus auteurs reconnus.
Dans le "Journal d’un album", l’auteur de Monsieur Jean-Charles Berberian racontait comment, petit, il avait frissonné à la lecture de l’album de Ric Hochet "Les Spectres de la Nuit", dans lequel un personnage se chopait une telle frousse que ses cheveux blanchissaient instantanément. Un vrai fantasme de gamin.
D’enquêtes classiques "à la Tintin" dans les premiers temps (1955), le journaliste mais toujours prude Ric Hochet (physiquement, la rencontre improbable de Claude François et Buck Danny) aura ainsi traversé les époques, de l’ORTF à internet, en assumant globalement un col roulé acrylique rouge, une veste en tweed blanc à motif pied-de-poule et un imper de privé mastic un peu large, le tout sans décevoir à force de lasser (76 albums !), l’habile scénariste Duchateau prenant toujours un malin plaisir à broder quatre couettes de fantasmes avec un dé à coudre de réalisme.
Ric aura aussi affronté un nombre incalculable de crapules ("Le Bourreau" était l’une des meilleures) sans jamais mériter le repos du guerrier avec sa fiancée Nadine, ce qui finissait par ressembler à un running-gag. Son seul vice connu était de conduire sa Porsche à toute berzingue. Mais c’est à ce prix que – merci les curés qui ont régné sur la BD –, les jeunes lecteurs de Ric Hochet pouvaient fantasmer sur une chasse à l’homme, des loups-garous, des vampires, des sosies démoniaques, des chevaliers venus du fond des âges, un père escroc ou autres serpents incarnés sans que la morale y trouve à redire. En gros, une fois sur deux à la fin, on apprenait que le méchant était déguisé, bon dieu c’était ballot.
Tibet était aussi un excellent caricaturiste, et comme Morris ou Uderzo, parsemait ses albums de vedettes et de seconds rôles, ce qui reste amusant à la relecture et permet de distinguer facilement un bon Ric Hochet d’un Bilal prétentieux.
Bref, Tibet était un artisan modeste et populaire, à l’ancienne, sans tablette graphique. Un des ex-hérauts de la nouvelle vague bédé, Lewis Trondheim, s’était d’ailleurs penché sur son cas dans son essai dessiné [1] sur la vieillesse difficile des auteurs d’art séquentiel. Tibet était déjà une exception parmi les dessinateurs devenus alcooliques ou dépressifs (thèse de départ de Trondheim).
Après 140 albums, que disait Tibet ? "J’y prend toujours un plaisir infini. J’ai toujours rêvé de faire du cinéma ou du théâtre, c’est sûrement pour ça que ce que j’aime le plus c’est de faire jouer mes personnages… Je prends un pied énorme à ça". Et certes, dans les outrances, dans les rebondissements improbables, le lecteur, souvent, s’y retrouvait, à l’aise comme dans des pantoufles, mordant la madeleine.
Vers le milieu de la série, la probité du vaillant Ric avait semblé gonfler les auteurs eux-mêmes, le temps d’un "Scandale Ric Hochet" très amusant. Mais s’il ne fallait lire que 5 albums, l’auteur de ces lignes conseillerait très subjectivement "Rapt sur le France", "Face au Serpent", "Les Compagnons du Diable", "Hallali pour Ric Hochet" et "Tribunal Noir".
[1] "Désoeuvré", éditions L’Association