Christine Fersen, la doyenne de la Comédie Française, est décédée dans la nuit du lundi 26 au mardi 27 mai.
Lorsque Bob Wilson avait monté à la Comédie Française les Fables de la Fontaine, ce grand créateur avait demandé aux acteurs de parcourir, en une minute ou deux, les quelques mètres qui séparaient deux chaises. La plupart avaient été déroutés par cette exigence ; mais pas Elle. Et Wilson, sans hésiter devait confier à Christine Fersen son dernier grand rôle, celui du narrateur des Fables, dont elle s’acquitta magnifiquement.
La doyenne du Français, disparue accidentellement dans la nuit de lundi à mardi, s’imposait charnellement, d’ emblée. Une chevelure rousse, un regard perçant, voire inquisiteur, de longues jambes de jeune fille. Christine prenait possession de l’autre, de son public, sans états d’âme et avec un plaisir sensuel. Christine n’épargnait personne, pas même elle, pour imposer une présence, sa présence.
Chaque jour, en fin d’après midi, cette grande comédienne gagnait le bar du Nemours, qui est beaucoup plus qu’un bar, le havre et le refuge des acteurs du Français avant la représentation du soir (et parfois après le spectacle d’ailleurs). Un dernier verre de blanc, une confidence au patron du Nemours, grand amoureux de théatre, sur cette chienne de vie, ou encore un dernier appel sur son portable à Sacha, son compagnon aimé…Parfois, la comédienne paraissait découragée, comme habitée par une ancienne souffrance. Mais lorsque venait l’heure de la représentation, Christine, alors, traversait la place Colette de sa démarche de star, déjà toute vouée, tournée vers ce public qu’elle allait retrouver. Et avec quel bonheur !
Christine était aussi cette voix singulière, grave, travaillée par quarante années de solfège à la Comédie Française. De "la Maison", qu’elle aimait d’un amour vache, comme on aime sa famille, la sociétaire avait hérité du meilleur : une diction parfaite, un grand respect de la troupe, du collectif, le goût du texte, de tous les textes. Quelle fierté elle ressentit lorsqu’elle fut nommée doyenne de cette troupe, comme un bâton de maréchale pour cette star que seuls les amoureux du théatre avaient, depuis toujours, reconnue, sanctifiée. Et en premier lieu, ce grand critique que fut Michel Cournot qui avait tempêté, un jour, contre un ancien administrateur du Français ( qui ne laissera que peu de trace dans l’histoire du théatre) qui l’avait « mis au cachot », par vilenie, la privant des plus beaux rôles. Christine est morte d’avoir aimé le théâtre plus que la vie. Plus que sa vie.