Tandis que la Chine s’échine à hisser sa grandeur sur un pied respectable, et que l’œil du monde ne l’a jamais scrutée de plus près, « Bakchich » est allé rencontrer un de ses artistes dissidents, le sculpteur Wang Keping. Il participe depuis le mois de juin à l’exposition « China Gold » du Musée Maillol.
Étrangement, cet été les expositions sur la Chine fleurissent à Paris comme des boutons de litchis au Printemps. L’une d’entre-elles, « China Gold » s’est ouverte le 18 juin au musée Maillol. Elle offre une cartographie vivante d’un art chinois progressivement libéré du joug politique. Parmi la trentaine d’artistes rassemblés pour offrir un aperçu de la diversité de l’art contemporain chinois, un seul réside en France, Wang Keping. De même que parmi les photos, les tableaux aux couleurs criardes et les vidéos très avant-gardistes, seules ses sculptures de bois épurées se démarquent.
Des mains, du bois, de l’humidité, et de l’humilité. Quatre mots pour décrire le personnage. Wang Keping est un artiste d’une simplicité désarmante, loin de ses confrères aux prétentions de conquête planétaire, exploitant la vague « Chine » et vendant toujours plus, toujours plus cher. Né en 1949, année de la conquête de « Beiping » (aujourd’hui Beijing, Pékin) par le Parti communiste, il est appelé « Keping » (ce qui signifie « conquérir Beiping ») et s’engage dans sa jeunesse comme garde rouge. Mais Wang qui s’étonne et se moque de la bêtise et de l’ignorance de ses supérieurs, se forge rapidement un esprit critique indépendant. De la ferme communiste aux tuyaux de plomberie, des planches de théâtre au plateau télé, à 30 ans, il en vient enfin à la sculpture.
C’est dans une Chine égarée après la disparition de Mao Zedong, qu’il engage véritablement son art dans une lutte politique, avec une vingtaine d’autres artistes militants chinois, il constitue le groupe des « Étoiles » (Xing Xing) en 1979. Plusieurs fois interdite, délocalisée, puis à nouveau ouverte, la première exposition du groupe est une date symbolique dans l’histoire de la liberté artistique en Chine. À l’époque, elle est couverte par la presse du monde entier.
Aujourd’hui, Wang Keping vit en France depuis 24 ans, même si, depuis dix ans, il est autorisé à rentrer dans son pays. La liberté des artistes est beaucoup plus grande qu’au temps du communisme mais il ne souhaite plus vivre en Chine car il ne s’y sent pas à sa place et s’oppose à la politique de ses dirigeants.« Je soutiens le dalaï lama par la pensée », dit-il.
Dans ce court espace temps de la rencontre, non loin de chez lui dans un quartier d’affaires du XIIIème arrondissement, l’artiste reste peu loquace. Il ne veut plus faire de politique. Pour lui, la Chine est à la mode, et l’art chinois un marché de plus pour les investisseurs du pays comme pour les étrangers, un vaste supermarché où des œuvres se vendent à 1 million d’euros. Il semble choqué. Un marché où les toiles d’artistes très réputés se fabriquent comme des peluches et des jouets en plastique, et sur lesquelles l’artiste en question ne pose que sa signature… « Les grands artistes sont très rares, aujourd’hui on ne donne plus que dans l’art conceptuel. On ne recherche plus le nouveau, on ne crée plus l’inédit, l’extraordinaire, mais on produit et reproduit l’ordinaire ». L’art, non plus une création mais une ré-création ? Un composant de plus dans l’univers de la consommation et du grand divertissement, une esthétique du superficiel.
Peut être Wang est-il simplement d’une autre génération. Il n’est pourtant pas amer, mais presque indifférent, et ne parle déjà plus que de la peau du bois, de la forme des femmes et du toucher de la terre. Loin des lumières de Pékin.
Sur l’art contemporain chinois, lire aussi l’excellente critique de Jed Perl, « Mao Crazy » dans The New Republic.