Fuir l’indigence africaine pour l’opulence européenne, sacrifier son corps pour la survie économique des siens. Telle est la sordide réalité de filles d’Afrique échouées sur le macadam de Paname où elles sont contraintes à tapiner pour le compte de mamas-proxénètes avides de fric.
Au début, c’était une coutume : l’émigrée africaine qui réussit en Europe partage ses deniers avec les siens restés au bled. Faciliter la venue d’un proche constitue le plus beau joker. Sauf que certains mauvais esprits ne se gênent pas pour abuser de la dite « solidarité africaine » et alimentent grassement leurs business de trabendo humain. Coup de poker macabre. La mise de départ a connu une inflation sombrement unique en son genre. Le prix atteint ? La liberté ! « Mon corps a été vendu mais pas mon âme. Même si la mienne ne vaut plus rien et qu’elle est souillée, elle n’a pas de prix », confie Linda entre deux passes. Agée de vingt-cinq ans selon ses dires, mais en paraît bien moins, elle erre dans le no man’s land urbain qui ceinture la capitale. Débarquée à Paname il y a trois ans en provenance du Cameroun, munie d’un « vrai-faux » visa étudiant, elle a été confiée à une prétendue tante. Cette dernière a vite révélé son vrai visage, dévoilant sans louvoyer ses intentions… Comme tant d’autres, Linda a été achetée à sa famille par ces maquerelles en quête de chaire fraîche jeune et plantureuse.
En 2006, quatorze des trente réseaux de prostitution démantelés en France provenaient du continent noir. L’Afrique de l’Ouest constitue l’épicentre de ce trafic humain. Nigeria, Cameroun et Ghana en tête de file. Cela fait dix ans que ces pays sont bien connus des services de police, en vain. Les mamas opèrent via des réseaux familiaux bien huilés ou se rendent sur place, en Afrique, pour étoffer leurs harems. « Ce sont souvent les parents qui vendent leur fille. Ils reçoivent entre 7 000 et 10 000 euros. La fille, il est fréquent qu’elle soit mineure, devra reverser 40 000 euros à la mama pour s’affranchir », explique Emile Lain, chef de l’Office central de répression de la traite des êtres humains (OCRTEH). Après avoir âprement négocié le prix, les parents et la mama signent un contrat en bonne et due forme. Dans un exemplaire cacheté de Benin City au Nigeria, que s’est procuré Bakchich, il est stipulé qu’ « au cas où la fille ne rembourse pas sa dette, le prêteur se réserve tous les droits pour la récupérer ». Puis, direction le marabout ! Les trafiquants exploitent presque toujours les croyances et les pratiques ancestrales pour asservir leurs proies et accentuer la pression sur la famille. « La menace de sortilège qui plane sur la famille restée au village fait office de pacte tacite entre la fille et la proxénète. Si la fille s’échappe, la famille en paiera le prix », précise Amely-James Koh-Bela, porte-parole de l’association Mayina et auteur de plusieurs ouvrages sur la question. [1]
Pour quitter l’Afrique, pas de cayucos mais des Boeing rutilants. Munies de « vrais-faux visas », achetés 4 000 euros environ par la mama, les filles attachent leur chaîne de sécurité vers l’enfer. Réduites à l’état de vulgaires marchandises envoûtées par les esprits, elles se doivent d’être rentables tant pour la mama que pour les proches restés au pays. « La famille en profite en recevant ce que veulent bien envoyer les mamas et ne préfère pas savoir d’où provient l’argent. Mais la prostitution rend les gens encore plus pauvres et plus dépendants. Le trafic soutient la pauvreté », souligne Bernard Lemettre, président du Mouvement du Nid, une association venant en aide aux prostituées. Ce business engraisse les dealers d’âmes au détriment des filles et de leur entourage. La traite des êtres humains est la troisième source de profit du crime international organisé, générant plus de dix milliards de dollars par an. Selon M. Lain, « ces réseaux transnationaux connaissent et exploitent les failles de nos législations. Ce trafic est lié aux mêmes réseaux que ceux de la drogue et du trafic d’armes ». Logistique et coûts de départ dérisoires, les risques lors du transport des « marchandises » sont réduits et les pépètes garanties par une demande européenne insatiable. Un sordide marché du tourisme sexuel est mis en place. Une prostitution sans complaisance où les pratiques les plus abjectes sont les plus lucratives. Passe à la chaîne, partouze, zoophilie, scatologie, ondinisme ; la litanie est affligeante. Ces filles d’Afrique se retrouvent assujetties aux déviances sexuelles de clients sans foi ni loi qui, comme le fustige Mme Koh-Bela, « transforment le continent noir en supermarché de popotins blacks ». Tout a débuté avec une émigration subie…
Voir aussi : Contours (et détours) du jour qui vient
[1] Mon Combat contre la prostitution, Editeur : Jean-Claude Gawsewitch, Collection : Coup de gueule (2007)
Quels sont les moyens mis contre ces mamas ? Et pour aider ces filles, qui sont des victimes et qu’on devrait aider.
A part "le nid", y a -t-il d’autres associations actives pour les aider ?