Une importante primaire a eu lieu dans l’Etat de Pennsylvanie le 22 avril. Alors que les médias se faisaient l’écho de critiques incitant Hillary Clinton à se retirer de la course à l’investiture démocrate, elle l’a finalement emporté avec dix points d’avance sur Barack Obama. Retour sur ce tour de passe-passe électoral avec notre fameux chroniqueur, Doug Ireland.
La question n’était pas de savoir si Hillary Clinton remporterait ou non la primaire du 22 avril en Pennsylvanie, mais plutôt de deviner quelle serait sa marge de victoire. En fin de compte, elle a gagné avec dix points d’avance sur son rival, le sénateur Barack Obama. Une victoire suffisamment respectable pour qu’elle continue sa campagne ? Oui. Une victoire assez écrasante pour changer la donne de la campagne ? Non.
Comme on pouvait le lire dans un éditorial cinglant du New York Times intitulé « Le mauvais chemin vers la victoire », publié le lendemain de la primaire pennsylvanienne, Hillary a « gaspillé une large part de l’avantage de vingt points » ou plus qu’elle avait dans les sondages il y encore six semaines. Le quotidien a souligné qu’elle a accompli cet exploit grâce à une campagne très négative et composée d’attaques contre Obama encore « plus basses, plus creuses, plus désespérées, qui flattent encore plus les émotions » qu’auparavant.
Et pourtant, le Times avait apporté son soutien à Hillary lors de la primaire de New York, le 5 février ! Maintenant, le « journal de référence » des Etats-Unis parle de Madame Clinton comme d’un amant qu’on a trompé. Il faut dire que dans l’un de ses spots publicitaires diffusé sur les chaînes locales pennsylvaniennes, elle s’est même abaissée à utiliser la politique de la peur si chère a George W. Bush.
Au menu des réjouissances : des images de l’attaque de Pearl Harbor qui ont précipité l’Amérique isolationniste dans la Deuxième Guerre mondiale ainsi que des images de Nikita Khrouchtchev avec Fidel Castro et d’Oussama Ben Laden. Le commentaire qui les accompagnait renforçait l’idée de la prétendue « faiblesse » du sénateur Obama au travers d’une phrase qu’Hillary répète sans cesse dans ses discours : « si vous ne supportez pas la chaleur, sortez de la cuisine ! ». Le matin même de la primaire, elle brandissait aussi la peur sur la station de radio ABC News, menaçant de « gommer » l’Iran de la carte, si jamais Téhéran attaquait Israël. Ce qui, au passage, est un appel du pied fort peu discret aux électeurs juifs.
Si Obama est parvenu à limiter quelque peu les dégâts en Pennsylvanie, il faut reconnaître qu’il n’a pas été à la hauteur de son vrai challenge, à savoir réduire la marge de victoire d’Hillary au sein de la classe ouvrière. On le voit très bien dans l’ouest de la Pennsylvanie, connu sous le nom du « couloir du charbon et de l’acier ». Dans ces bastions ouvriers, Hillary a littéralement noyé Obama par au moins deux voix contre une, parfois en l’emportant par 70% ou 80% ! C’était plus qu’assez pour contrecarrer la large victoire d’Obama dans la plus grande ville de l’Etat, Philadelphie, à majorité noire. En dépit du fait que son maire noir, Michael Nutter, ait soutenu Hillary, Obama l’a emporté à 65 %, contre 35 % pour Hillary. Mais c’était insuffisant.
Au fond, la vraie raison de la victoire d’Hillary peut s’expliquer par une phrase sarcastique prononcée il y a quelques années par James Carville, stratège en chef de la campagne présidentielle de Bill Clinton en 1992, originaire de Louisiane et connu dans la presse sous le sobriquet de « Ragin’ Cajun » (le Cajun enragé). « En Pennsylvanie, il y a les grandes villes de Philadelphie et de Pittsburg, mais tout le reste, c’est l’Alabama » a-t-il dit en faisant référence à l’ancien Etat ségrégationniste du Sud.
Et, en effet, la division raciale était omniprésente dans les résultats de la primaire du 22 avril puisque, selon les sondages de sortie des urnes, 62 % des blancs ont voté pour Hillary contre à peine 38% pour Obama. Soit un énorme écart de 24 points. Les Clinton, surtout Bill, n’ont eu de cesse de jouer la carte raciale contre Obama depuis la mi-janvier (Lire dans Bakchich : La campagne américaine prend une sale tournure) et le message a été reçu cinq sur cinq par la classe ouvrière de Pennsylvanie.
Cette primaire était aussi la première organisée depuis le matraquage médiatique ciblant les prêches enflammés de l’ancien pasteur d’Obama, le Révérend Jeremiah Wright, que l’on a vu passer en boucle à la télé pendant des semaines en train de crier « Que Dieu maudisse l’Amérique ! ». Les résultats en Pennsylvanie donnent à la campagne de Clinton un argument supplémentaire à chuchoter a l’oreille des super-délégués qui décideront de l’investiture du Parti Démocrate, que « l’effet Wright » sera fatal pour Obama dans sa campagne contre le Républicain John McCain car il ne pourra jamais gagner la classe ouvrière. Sous-entendu : parce qu’il est noir.
En Caroline du Nord, qui choisira entre Obama et Clinton le 6 mai, et sans doute dans tout le pays ensuite, le Révérend Wright ne manquera pas de revenir sur le devant de la scène grâce aux antennes locales du Parti Républicain. Celle de Caroline du Nord diffuse déjà un spot publicitaire demandant aux deux candidats démocrates pour le poste de gouverneur de l’Etat (le candidat du parti sera aussi désigné lors de la primaire du 6 mai) : « mais comment donc pourriez-vous soutenir Obama ? » Comme l’a si bien dit ce 23 avril le chef du service politique de la chaîne de télévision NBC, Tim Russert, « ce spot ré-injectera carrément la question raciale au centre de la campagne. »
Peu avant la primaire de Pennsylvanie, le membre vétéran du Congrès Barney Frank, réputé pour être l’un des plus brillants à la Chambre des Représentants, et de surcroît supporter d’Hillary, a surpris son monde en déclarant que l’investiture de son parti doit être décidée par les super-délégués en faveur de « celui qui gagne le plus de délégués élus » immédiatement après les résultats de la dernière primaire qui se tient à Puerto Rico, le 3 juin. Beaucoup de commentateurs et de chroniqueurs ont avancé le même argument ces dernières semaines et plus d’un a demandé à Hillary - pour qui il est mathématiquement impossible de rattraper Obama en nombre de délégués élus - de se retirer de la course.
C’était mal connaître la bête parce que la « reine de glace » n’a jamais songé à déclarer forfait avant la convention démocrate du 25 août. Elle, ainsi que l’establishment clintonien du parti, estiment que la désignation lui revient, de droit. Elle l’a d’ailleurs indiqué dans son discours de victoire après que des estimations à la télévision l’ait déclarée gagnante en Pennsylvanie. « Il y en a qui m’ont envoyé au tapis et m’ont demandé de me retirer, mais le peuple américain ne sait pas jeter l’éponge et il mérite un président qui ne le fasse pas non plus ! » a t-elle martelé devant une foule en délire.
Même si sa victoire en Pennsylvanie n’est « pas assez large pour changer le calcul de la compétition démocrate » comme l’écrit avec justesse le New York Times dans son éditorial du 23 avril, sa marge de dix points est juste suffisante pour lui permettre de collecter assez d’argent afin de poursuivre sa campagne. Son état-major était sans le sou à l’issue de la primaire de Pennsylvanie avec de surcroît une dette dix millions de dollars.
De son côté, Obama, qui reste en tête du nombre de délégués élus ainsi que dans le nombre d’Etats gagnés est, lui, plein aux as. En mars, il a même récolté 43 millions de dollars. C’est dans ce contexte que les résultats de Pennsylvanie permettent de jouer les devins sur deux points : primo, que presque tous les super délégués n’ayant pas encore choisi entre Obama et Clinton ne se décideront pas avant la dernière primaire du 3 juin ; secundo, que la campagne va encore durer quatre mois et plus et va se durcir grâce à Hillary qui volera de plus en plus bas dans ses attaques contre Obama.
Détruire son rival est en effet la seule possibilité qui lui reste pour décrocher l’investiture. C’est une perspective d’autant plus écoeurante qu’elle est inutile puisque la plupart des super-délégués – une majorité sont des élus, dont une centaine au Congrès - ne prendront jamais la responsabilité d’imiter le vol infâmant de la victoire par George W. Bush en 2000 alors qu’Al Gore avait gagné le vote populaire. Et Hillary ne rechignera pas à irrémédiablement diviser son parti et ainsi donner l’élection au Républicain John McCain. Si Obama est battu en novembre, elle sait qu’elle préserve ainsi ses chances de revenir dans la course à la présidentielle en 2012. Le cynisme des Clinton ne connaît pas de limites.
N’y a t’il pas une petite erreur dans cette phrase :
"Maintenant, le « journal de référence » des Etats-Unis parle de Madame Clinton comme d’un amant qu’on a trompé."
N’est ce pas le New York Times qui se retrouve cocu et qui devrait soit "parler de Madame Clinton comme une maîtresse qui l’aurait trompé" soit "parler de Madame Clinton comme un amant qu’on (ou qu’elle) a trompé" ?
A propos de "sortir de la cuisine", rendons à César … http://www.phrases.org.uk/meanings/get-out-of-the-kitchen.html
Hillary n’a rien inventé.
Vol infamant, pour sur, mais pas pour la raison invoquee ! (et plutot pour les manipulation pre electorales des listes et le grand guignol du recomptage/cour supreme/chambre baissant son froc pour enterimer le scandale). Apres tout, JF Kennedy avait egalement perdu le vote populaire face a Nixon.
Quant au soutien du NY Times a Clinton, il etait evident a la lecture de l’editorial qu’il etait contraint et a reculon (Clinton, senatrice de… New York, a un certain pouvoir, c’est le moisn que l’on puisse dire), et qu’entre les lignes il apparaissait clairement que le renouveau ne viendrai que d’Obama.
De toute facon Mc Cain va etre elu. Si c’est le cas, ce pays meritera tout ce qui lui arrivera par la suite, et plus aucune excuse ne pourra affranchir les citoyens americains de leur aveuglement stupide.
"De toute facon Mc Cain va etre elu. Si c’est le cas, ce pays meritera tout ce qui lui arrivera par la suite, et plus aucune excuse ne pourra affranchir les citoyens americains de leur aveuglement stupide."
⇒ en matière d’aveuglement, nous (les Français) on en connaît un rayon avec l’élection de Bling Bling !