Communiquer c’est étymologiquement niquer le commun, ou plus prosaïquement abuser la ménagère de moins de 50 ans. Ça peut aussi être plus compliqué. La preuve par les faits.
Le groupe Carrefour vient de lancer une campagne institutionnelle. Un message de communication est destiné à chacun de ses partenaires. Le premier, cible les fournisseurs, un autre les futurs salariés, cadres, collectivités territoriales, et pour finir un bouquet final s’adresse à l’ensemble de la Nation.
À chacun son visuel, à chacun son discours. Pour les étudiants des grandes écoles, que Carrefour et l’ensemble de la distribution ont du mal à draguer, le message est clair. Je m’intéresse à vous. Et là, pas d’Oncle Sam qui vous pointe du doigt, le leader français de la distribution cite deux des trois écoles les plus prestigieuses écoles de commerce française : l’ESSEC et l’ESCP. C’est sans ambiguïté, Carrefour vous veut. Carrefour aime les étudiants des grandes écoles.
Il ne manque plus qu’HEC, la plus prestigieuse de toutes. On peut envisager aussi que le départ de Daniel Bernard, ancien élève de ladite école n’ait pas laissé que des bons souvenirs dans la maison. Il est quand même parti avec 38 millions d’euros ! Excusez du peu. Il ne faudrait pas que ça se généralise, le distributeur a suffisamment de problèmes comme cela. Echaudé, il aurait même décidé d’arrêter d’embaucher des HEC.
Un autre visuel est destiné à draguer les élus des collectivités territoriales. Elle invite à découvrir Mauliac et certains de ses habitants, dont monsieur le maire. C’est important pour Carrefour de valoriser les maires de nos villages et de nos villes, car ils participent aux décisions de création et d’extension de magasin dans le cadre des Commissions Départementales d’Équipement Commercial, les fameuses CDEC.
Le visuel est très bien choisi. Le directeur artistique a sûrement eu du mal à trouver dans le village cet emplacement si agréable. La photo est réussie. Devant un ensemble de maisons aux tuiles romaines et aux murs joliment marqués par les années, un groupe de six personnages posent relâchés. Tous les âges et les sexes sont représentés. La légende est précise, vous avez là : « le postier, le maire de Mauliac, l’institutrice et le gérant du Shopi ». À vous de trouver lequel occupe chaque fonction.
Le postier est peut-être la belle brune sur la droite. Ses longues jambes que l’on devine musclées sont sûrement entretenues par les longues courses cyclistes et journalières. Autour du village ; les routes peuvent être escarpées, certains mas sont assez éloignés du centre ville, le courrier n’attend pas. Le postier y va en vélo par souci écologique. Ça lui réussit plutôt bien. Le maire est sûrement ce grand bonhomme en chemise à carreaux. Ses électeurs font confiance à sa générosité et à son léger embonpoint.
Mais qui est l’institutrice ? Est-ce cette grande femme blonde aux épaules carrés et au sourire figé ? Peut-être, c’est même sûr. C’est la seule femme de la photo sans affectation. C’est donc elle. Elle a du sortir de l’IUFM il y a quelques années. Bien classée elle a été mutée dans ce petit village. Sa posture induit de la fermeté sur les principes. Avec elle les élèves savent lire et compter… On voit que Carrefour aime cette France profonde, qu’il la connaît, qu’il la respecte.
Sauf que « Mauliac, sa poste, son école, sa mairie, son magasin d’alimentation, sa vie quoi… » n’existe pas. Si après cette campagne vous êtes tombé amoureux du village, comme Monsieur Norbert Livet, ne cherchez pas Mauliac sur une carte, ou sur les Pages Jaunes, vous ne la trouverez pas !
N’allez surtout pas penser que Carrefour traite différemment les élèves des grandes écoles et les maires des villages. Même s’il semble que dans cette campagne on valorise les uns, et on abuse les autres.
À moins que ce soit la faute de l’agence de pub. Qui sait ?
À lire ou relire sur Bakchich.info :
Bonjour,
je n’ai aucune sympathie pour la grande distribution, mais honnêtement, je ne vois pas trop où est le problème dans le fait de donner un nom fictif à un village. D’abord c’est peut-être pour éviter des chicanes légales qu’ils peuvent avoir s’ils font référence à un vrai village.
Ensuite, le village qu’ils présentent est un archétype, et alors ? Beaucoup d’écrivains ont donné des noms fictifs aux lieux qu’ils décrivent, cf Stendhal et Verrières dans Le Rouge et le Noir.
Vincent
Vincent
J’apprécie votre idée, j’y ai réfléchi aussi.
Pour moi la différence est que Carrefour n’écrit pas des romans. Il essaie d’écrire notre vie avec plus ou moins de talent. La preuve c’est que dans leur communication tout le reste est vrai, sauf cela.
Ce n’est pas le cas des romans. Dans les fictions quelles soient littéraires ou cinématographiques certains auteurs rappellent même le genre de l’ouvrage au début de leur manuscrit. "Tous les personnages sont inventés et toutes ressemblances…". Les lecteurs et les spectateurs savent.
J’y vois une différence importante, là tout est vrai sauf ça. C’est un peu la même chose que quand BHL essaie de nous faire croire qu’il parle de Sarajevo en pleine guerre et qu’en réalité il s’est mis en scène comme un pleutre qu’il est sûrement. Sarajevo est en guerre des hommes et des enfants meurent à ce moment dans la ville assiégée. Lui ne vient que pour son image, pour jouer à Malraux.
Je pense que pour Carrefour, c’est un peu la même chose, ce n’est pas grave à condition qu’un jour il n’essaie pas de nous vendre des produits fabriqués en Chine pour des produits nos terroires.
Nous veillons, c’est notre métier.
Très cordialement.
Bertrand Rothé.
ERREUR :
CARREFOUR a bien cité l’ESSEC et l’ESCP comme filières d’excellence pour intégrer l’entreprise !
Mais vous oubliez que CARREFOUR a auusi cité L.A.V.I.E., comme formation privilégiée pour mériter cet honneur !
Plus que tout diplôme, si prestigieux qu’il puisse être, rien ne saurait remplacer la vie pour se préparer à affronter la vie !
La culture livresque, on peut l’acquérir à l’ESSEC, à l’ESCP, etc…, mais la culture vécue la vaut mille fois et elle est irremplaçable !
Alors oui ! Bravo à CARREFOUR, d’avoir cité L.A.V.I.E. comme filière d’excellence pour intégrer l’entreprise !
Antoine GED
Antoine
J’ai déjà répondu à cette question. Oui, Carrefour cite la vie comme filière d’excellence. Je vous signale qu’il la signale en troisième position. C’est déjà pas mal vous me direz. D’autres ne la citeraient pas. Donc acte. Dans cette partie l’article s’amusait plus à signaler qu’HEC est absent.
C’est ça qui m’avait intéressé.
Vous savez je ne suis pas que critique sur Carrefour. Voir mon article sur les marques dans la même rubrique.
Cdt.
Bertrand Rothé