Il n’y avait plus eu de neige à Marseille depuis 22 ans. Fallait-il donc s’équiper en chasse-neige (il en faut un sacré paquet, pour une des villes les plus étendues de France, pleine de collines et de pentes, sillonnée d’innombrables traverses exigeant un matériel très diversifié) ? Eh bien, c’est l’avis de François Fillon, qui fait une sortie devant les caméras (le détail a son importance) en dénonçant l’incurie des collectivités locales – en l’occurrence, le pagnolesque Gaudin, soufflé par cette fessée. Mesurons l’ampleur des dégâts : quelques dizaines d’automobilistes bloqués sur l’autoroute, j’en excepte ceux qui sont restés là quelques heures seulement, sachant que dans trois semaines ceux qui partiront à l’assaut des stations de ski de Tarentaise ou du Briançonnais passeront le double avec allégresse dans des bouchons par des températures équivalentes (et en souhaitant qu’il y ait de la neige). L’aéroport de Marseille a suspendu ses activités, et (je cite France 2) trois cents passagers ont passé la nuit sur place – soit l’équivalent de deux ou trois avions. A Toulouse, c’est le verglas (inconnu pendant plus de trente ans !) qui a sévi : fallait-il, à Marignane, entretenir une brigade de bulldozers équipés de lames, et à Blagnac, stocker des millions de litres de dégivrant ? Bon, finalement et pour faire bon poids, ce coup de froid sur le Midi aura emmerdé bien des gens, mais il n’y a pas lieu d’en parler comme d’une catastrophe nationale qu’un « pays moderne » (je cite Fillon) n’aurait pas su gérer.
On ne nous fera pas croire, je l’espère, que nous sommes dotés d’un premier ministre idiot. Il ne sert pas à grand chose, c’est clair, et il est d’autant plus étonnant qu’il soit monté en première ligne pour crier son indignation et lancer des enquêtes. Tu parles ! le coup de l’enquête, en Sarkoland, c’est comme le sirop Python : l’universelle panacée, on t’en sert une, d’enquête, dès qu’une mouche a des vapeurs, il doit bien y avoir trois cents « enquêtes » en cours sur ceci-cela, ça ne mange pas de pain et le lendemain on n’y pense même plus. Fillon, il n’est pas à une enquête près ; mais lui qui ne dit pas grand chose sur la guerre de Gaza, ni sur la perte d’emploi de 64 000 de ses concitoyens, le voici qui vient au secours des martyrs de l’autoroute et des otages de l’aéronavale, et abonde dans le sens de la grande râlerie dont les médias se font l’écho, en l’amplifiant, évidemment, puisque sans cela, il n’y aurait pas matière à cette foutu dramatisation dont se repaissent nos journaux télévisés. On tend un micro à un gars, s’il dit qu’il est « otage » (de la neige, de la grève, des caténaires niqués …), il passe au vingt heures, s’il dit bôf, c’est pas la mort, de toute façon j’avais pas envie d’aller bosser, il perd l’occasion de jouir enfin de cette seconde de célébrité que la société du spectacle lui offrait ce jour-là. Bon, jusque là, je veux dire, dans les médias, le coup est classique ; et si l’on écoute attentivement, sachant ne pas s’exposer à la critique d’en faire trop et de « désinformer » tout en informant, les médias ajoutent, dans les commentaires, que des coups de froid pareils n’ont rien d’étonnant, parlent de 1954, de 56, de 85, et concluent qu’en gros, on se gèle les coucougnettes pendant huit jours tous les sept ou huit ans. J’ajoute que, si l’on a la mémoire un peu plus longue que le premier ministre, on est tenté de se demander si les températures que nous connaissons en ce début janvier sont vraiment si exceptionnelles : moins huit ici, moins dix là, et même moins quinze à Mouthe dans le Jura (que l’on cite toujours, dans ce contexte, pour dire combien il peut faire froid en France), ce n’est pas la Sibérie. Parisiens, vous avez connu bien pire, et toutes et tous vous avez vu la neige sur Montmartre et le Champ de Mars ! Il neigerait en septembre, il y aurait matière à s’alarmer, mais trente centimètres en Corrèze en janvier, cela peut arriver sans que la France bascule dans une glaciation subite. D’accord, nos hivers tendaient à devenir nien doux, et les téléskis de la moyenne montagne labouraient l’herbe : on a plutôt l’impression de revenir au bas de la fourchette normale.
Alors, pourquoi ce ramdam du père Fillon ? Comme j’ai plein de mauvais esprit et que cela fait partie des ingrédients caractéristiques de Bakchich, je vais vous dire l’idée folle qui m’a traversé l’esprit : parler de la pluie et du beau temps est une façon de parler d’autre chose, donc, parler du froid permet d’escamoter les sujets brûlants. Et chausser les pantoufles de Bidochon 1er qui râle parce que l’auto elle patine sur la neige et qu’est-ce qu’ils foutent à la mairie et à l’Équipement c’est que des branleurs je le sais j’ai un beau-frère qui y bosse, quand on est le « locataire de Matignon », comme disent joliment les radios, c’est effectivement parler d’autre chose que des maux ordinaires de ce beau pays blanchi par l’air glacial. Le pouvoir d’achat ? Pfuit, ce n’est plus un problème, c’est bien simple, à en croire Sarko, plus personne n’y pense (au MEDEF, c’est l’orgasme, d’autant plus que les dividendes sont gras). Le chômage ? Ben, on s’en sort mieux que si c’était pire, dit la version officielle des oracles d’État, dont les enfants et les parents ont un boulot garanti. La dette ? Faut bien qu’on trouve du jonc pour que les banques ne dérapent pas sur le verglas carabiné de la spéculation foireuse, de la dépression fatale, des escrocs new-yorkais, en attendait la moralisation du capitalisme (attention, chantier !). D’ailleurs, plus un mot de ces vétilles sur nos écrans. Et tant qu’on en reste à un SDF mort par jour, y a pas le feu au lac : avec ce froid et leur obstination, on est poliment invités à donner quitus au gouvernement. Mais derrière les malheureux transis du Bois de Vincennes, il y a des centaines de milliers de mal logés en toutes saisons, et le froid ne fait que remettre une couche sur leurs difficultés (je ne parle pas du soin qu’on prend de condamner leurs défenseurs ou de matraquer les râleurs). Mon cher, quand un retraité fait les poubelles par moins quatre pour bouffer, le premier drame, ce n’est pas le thermomètre, c’est le montant de sa retraite. A plus quatre, on ne vous a pas entendu compatir ni réclamer des enquêtes, et pourtant, c’était le même retraité et la même poubelle…
Dans des tas de pays hyper équipés où sévissent tempêtes et blizzards avec une fatale régularité, des rues sont incirculables et des aéroports restent fermés chaque année pendant plusieurs jours. Si l’aventure polaire, ça consiste à remonter la Canebière à pieds dans douze centimètres de neige, je veux bien revenir en enfance. Mais je ne veux pas qu’on balance devant mon nez ces rideaux de brouillard givrant : les intempéries que traverse la France, pour le moment, elles sont d’abord économiques et sociales, pas climatiques. Le grand coup de froid, il est là, monsieur Fillon, parlez-en avec autant de compassion que vous en montrez pour les sinistrés de la crise, débloquez autant de pognon pour les mal logés que vous voudriez qu’on en claque pour acheter des chasse-neige sur la Côte d’Azur et répandre des milliers de tonnes de sel pour quelques heures de neige en pourrissant les chaussées et la flotte (eh oui, c’est cher, tout ça !), ce ne sera pas beaucoup face au marasme, mais ce sera déjà ça. Tenez, payez le surplus de leur facture d’électricité, de gaz ou de fuel, si le froid vous fait pleurer. Ils apprécieront. Et vous aurez l’air de vous inquiéter à bon escient. Parce que le pire est encore à venir, et, à 60 000 chômeurs de plus par mois, le printemps risque d’être aussi chaud que l’hiver vous semble froid.
Bien d’accord avec vous sur le coup du rideau de brouillard bien pratique … quant au Premier Ministre, il a sûrement d’autres sujets à traiter que la logistique des chasse-neige et des tas de sel !
Au passage, il me semble que Richard Antony chantait les vertus du sirop "Typhon"
Bravo pour l’article ! Mais je peine à croire que beaucoup de gens vous suivent. Ainsi, j’ai approuvé l’argument de Gaudin (je l’avais même pensé avant !), et je me suis fait traiter de tous les noms.Ce n’est parce que Gaudin est ce qu’il est qu’il a toujours tort. Le critiquer sur ce point est le signe d’une intolérance qui nous envahit de plus en plus. Ce qui est tout de même rigolo, c’est que l’attaque vienne de Fillon.
J’en ai marre de nos médias qui ne perdent jamais une occasion de nous détourner des vrais problèmes.
Excellent article sur la situation de glaciation dans notre pays et l’incurie des collectivités !! Plus sérieusement, comme il l’est si bien expliqué dans cet article, on nous cache les vrais problèmes, ceux qui dérangent et qui ternissent la bonne façade gouvernementale…
Bravo