Qui sème des Rafale récolte des otages, qui plante les graines de démocratie receuille de l’opium
Le dernier « plan de com’ » de l’État-major des armées (EMA) risque de coûter cher aux deux humanitaires de l’ONG Terre d’Enfance enlevés le 3 avril dans la province afghane de Nimroze, au sud du pays.
Les deux otages, dont l’identité n’a pas été communiquée, sont aujourd’hui devenus une monnaie d’échange entre les mains des Talibans. Et pas seulement parce que ceux-là cherchent à obtenir la libération de certains des leurs. Comme par le passé au Liban, ou désormais en Irak, ces évènements constituent aussi un moyen de pression pour tenter d’infléchir la politique des pays dont les ressortissants sont détenus prisonniers, en échange de leur vie sauve.
Les enlèvements, les premiers dont des Français sont victimes depuis le déclenchement des hostilités contre les Talibans en octobre 2001, surviennent au lendemain de la diffusion d’une série de reportages télévisés voulus par l’EMA sur l’opération « Serpentaire » de soutien aérien aux troupes de l’Otan déployées en Afghanistan.
Pas moins de quinze journalistes des télés et de la presse nationales ont eu droit, début avril, de s’attarder sur la base de Douchambé au Tadjikistan voisin, pour célébrer la mise en oeuvre de six appareils de l’armée de l’Air (trois Mirage 2000D et trois Rafale flambants neufs, épaulés par quelques 400 personnels spécialisés) placés en alerte permanente contre les combattants islamistes. Vingt-deux bombes de 250 kg ont été tirées en 2006 contre leurs groupes ; l’augmentation des moyens aériens en 2007 devrait fort logiquement permettre aux militaires français d’améliorer ce « score ». Ce qui n’a évidemment pas échappé à leurs adversaires. Rien d’étonnant, dès lors, que les ressortissants français soient à leur tour pris pour cibles. Cela, dans un contexte où la perspective d’un échec de l’Alliance Atlantique en Afghanistan commence à hanter les chancelleries occidentales.
Trente-sept pays sont engagés dans la coalition anti-Talibans, dont 23 États européens qui fournissent 16 000 hommes (parmi eux figurent plus de 1 200 soldats français basés à Kaboul jusqu’en avril 2007), soit trois fois plus qu’au lendemain de la chute du mollah Omar. Ce à quoi il convient d’ajouter 12 000 hommes du contingent US depuis la fusion de l’opération multinationale de restauration de l’état de droit en Afghanistan avec Enduring Freedom, l’action antiterroriste menée par les Américains depuis 2001. À ces moyens, s’ajoutent 3,7 milliards d’euros fournis par l’Union européenne pour assurer les fins de mois des autorités du pays. Avec quel effet ? Le bilan est pitoyable. La perspective d’une « irakisation » de l’Afghanistan devient plausible. Et ce n’est pas tout. L’hostilité aux troupes étrangères désormais perçues comme occupantes par nombre de tribus pashtouns, tout comme l’impuissance d’un pseudo-État corrompu, alimentent l’autre plaie qui transforme l’intervention occidentale en un véritable échec : une production d’opium en constante augmentation en dépit du mandat confié, dès 2002, par les alliés à la Grande Bretagne pour éradiquer ce fléau.
Tout à la célébration de l’intervention de leurs armées contre les talibans, les gouvernements européens se gardent bien d’évoquer cet avatar aux effets catastrophiques. L’Europe absorbe aujourd’hui 92 % de la production d’héroïne afghane tirée des quelque 6 200 tonnes d’opium récoltées en 2006 en toute impunité, selon les estimations de l’office spécialisé des Nations-Unies. Plus en aval, en Turquie, d’autres chiffres parlent d’eux-mêmes. Les policiers turcs ont intercepté 8 195 kg d’héroïne et 529 kg de morphine base en 2005. L’an dernier, ces quantités sont respectivement passées à 10 312 kg et 550 kg. Mais, pendant ce temps, combien de tonnes ont pu passer clandestinement ? En 2007, la récolte à venir s’annonce plus fournie encore. Tout au long des trois routes d’acheminement des narcotiques vers l’Ouest, les services des États riverains concernés sont déjà (officiellement) sur le pied de guerre. Pourtant, cette année encore, une majeure partie des chargements viendra alimenter les dealers de nos quartiers. Bien évidemment, « nos » soldats n’y pourront rien. Ce constat conduit à poser cette question légitime : jusqu’à quand tolèrera-t-on ce paradoxe d’une présence militaire occidentale massive en Afghanistan et l’impuissance à éradiquer la production de drogue dans le pays ?