Sociologues experts en haute bourgeoisie et aristocratie, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot enquêtent, dans un documentaire diffusé dimanche 12 octobre par France 3, chez ces messieurs-dames de la haute société. Un dur métier où il faut se taper des chasses à courre, des réceptions dans des châteaux et plein de baisemains …
Il y a de bons moments. Un vicomte de Rohan : « quand je me sens en France, je me sens propriétaire de la France ». Souvent on se croit dans un sketch de Valérie Lemercier tant l’âââccent de l’interviewée est caricatural. Mais ce très bon documentaire de Jean-Christophe Rosé (France 3, dimanche 12/10) ne se réduit pas à l’exotisme ou à la zoologie sociale (chez ces gens-là, on ne dit pas « quelle soirée emmerdante ! » mais « quel coup de barbe ! »). Le sujet, c’est aussi la crédibilité de nos deux sociologues et de leurs travaux. Pour interroger ce milieu, il faut y être admis, donc donner des marques de confiance. Jusqu’où ? On comprend bien que sans empathie, pas de contact possible…On voit Monique Charlot faire amie-amie avec telle baronne de Rothschild, qui le lui rend bien.
Mais ses analyses sur le papier ne sont pas complaisantes pour cette classe, quand elle analyse finement cette « stratégie de la condescendance », qui consiste à « nier la distance tout en l’affirmant ». Oui, « le châtelain doit rester simple » pour bien faire sentir à l’inférieur qu’il reste supérieur. Subtil ? Non, élémentaire, ma chère baronne ! Ambiguïté ne veut pas dire double jeu. ET pourtant…« On est des faux jetons », soupire à un moment Michel Pinçon. Boutade ? c’est dans cette incertitude que réside la richesse du film.
Et de l’enquête sociologique. Car ce couple attachant, qui cache à peine ses sympathies de gauche, travaille sur la corde raide comme des funambules. Un psy nous expliquerait peut être qu’ils subliment leur fascination des aristos en écrivant des livres de sociologie sur eux.
En tout cas, la science n’efface pas l’humanité. Et c’est pourquoi, à l’écran, passe parfois chez nos aristos la souffrance du dur devoir familial à remplir. Ces blasons sont décidément lourds à porter. Il y a l’arrogance et la morgue, mais aussi la culpabilité, la conscience d’être « les derniers des Mohicans », l’angoisse de devoir continuer la lignée et de rester à la hauteur de l’ancêtre. Pas facile, même si une bonne particule vous ouvre encore aujourd’hui beaucoup de portes (scène formidable, lors d’un cocktail, où on assiste à une « recommandation » en direct pour aider une jeune aristo à entrer dans une banque).
Mais il faut aller jusqu’au bout du documentaire pour voir nos sociologues affronter d’autres maîtres, plus sournois, parce qu’ils ne portent ni blason ni particules et qu’ils parlent comme vous et moi. Nous voici aux éditions du Seuil, où les Pinçon-Charlot vont porter leur manuscrit terminé. Il faut négocier le titre : « ghettos du gotha » plait à leur éditeur mais leur parait trop dur, trop raide (ils pensent à leurs interviewés…). En face d’eux, le directeur de collection, intellectuel de gauche connu, se révèle un petit maître autoritaire et méprisant, imposant ses conditions sans mettre les formes (« le titre du livre est de la prérogative de l’éditeur, c’est dans le contrat ! »), traitant ces sociologues du CNRS comme des manants. Tout cela dans un petit bureau au fond d’un dédale de couloirs…Même pas dans un château ! Au moins les vrais aristos vous reçoivent à la campagne et vous offre une coupe de champagne !
Je n’ai pas pu voir le reportage sur France3 mais je me rappelle très bien d’une émission de "Là-bas si j’y suis" à laquelle ces memes brillants sociologues participaient.
A podcaster d’urgence sur le site de l’emission !!!
Bravo. C’est vrai que les Pinçon se sont prêtés à un exercice difficile, celui de laisser filmer leur arrière cuisine, avec le risque que de les voir tomber amoureux de leur sujet, ce que les cuistres reprochent à Bourdieu à propos de son travail sur les kabyles. L’important est que leur livre soit sans concessions. L’important est de voir in vivo l’odieux éditeur à l’esprit d’un marchand de soupe mal élevé . Si j’étais Pinçon-Charlot, j’irai me faire publier chez Michel Lafon. Au moins il est bien élevé.
JM Bourget