Avec son Enquête sur le cauchemar de Darwin, François Garçon massacre le documentaire d’Hubert Sauper
Avec ce bouquin, on est d’abord mal à l’aise. Sale impression d’être pointés du doigt par Garçon, de faire partie de la masse de spectateurs naïfs qui s’est fait prendre dans les filets de Sauper. Replantons le décor : à Mwanza, autour du lac Victoria (Tanzanie), se cumulent toutes les tragédies africaines. Sida, prostitution, enfants des rues, misère… Rien ne manque. Cette catastrophe serait due au commerce de la perche du Nil destinée aux assiettes occidentales. Cette maudite perche serait en prime une menace pour la biodiversité du lac puisqu’elle dévore tout. Et ce n’est que le début : les avions qui transportent le poisson vers l’Europe arrivent en Afrique chargés d’armes. On en ressort groggy et plutôt en phase avec le slogan d’Arte : « Regardez pourquoi vous ne mangerez jamais plus de perche du Nil. »
Sauf que… on s’est fait berner. Hubert Sauper qui a toujours présenté son film comme un documentaire aurait plutôt fait dans la docu-fiction. L’un des reproches (il serait trop long d’en dresser la liste) que lui adresse Garçon est d’avoir instruit uniquement à charge et sans preuve. Sauper a ainsi fait de la Tanzanie, pourtant « pays pacifique (…), très pauvre (mais) dirigé démocratiquement », un symbole du chaos africain. Pour prouver que Sauper n’a rien fait de moins qu’un « documenteur », Garçon a mené une contre-enquête accablante pour le réalisateur autrichien : les impacts économiques du commerce de la perche sont infiniment plus complexes que ceux dénoncés dans le film et surtout il n’y a aucune trace de trafic d’armes. Plus encore, certaines images ont été détournées. Une des scènes les plus marquantes du film était celle d’une énorme décharge de lambeaux de poissons dont il était suggéré qu’elle était destinée à nourrir les populations locales. En réalité, les lambeaux sont destinés aux élevages de porcs et de poulets…
Cette enquête, extrêmement rigoureuse et documentée, fait passer Sauper pour un rhéteur de comptoir et ses fans pour des gogos. L’historien revêt la tenue du détective et démonte les raisons d’un succès. C’est sans doute la partie la plus intéressante de l’ouvrage : « le cauchemar de Darwin est un retable : il illustre la souffrance d’un peuple sur qui toutes les plaies de la souffrance, de la diabolique mondialisation néolibérale se sont abattues. » Tout le propos est là. Garçon refuse la bondieuserie qui rend imperméable à la critique toute entreprise guidée par la « bonne foi ». Car c’est cet argument que les défenseurs de Sauper ont utilisé : tout n’est pas exact, mais c’est pour la bonne cause… Un peu léger. S’agissant de l’Afrique, Garçon dénonce une sorte de consensus au délire compassionnel. Surtout de la part des bonnes consciences de gauche.
Et ça balance ! Garçon a la main très lourde contre les altermondialistes et la presse parisienne. Les journalistes le cul sur leur chaise et les crédules qui ont appelé au boycott de la perche, très peu pour lui. Trop peu d’ailleurs. Ce côté chevalier errant agace assez rapidement : Garçon cède trop souvent à sa hargne et règle ses comptes avec tout le monde. Il narre par le menu ce que machin a écrit sur lui et ce que son esprit d’escalier lui fait répondre un an après. C’est long, ça nous fait fermer le livre et oublier quel était le sujet.
J’ai vecu et travaillé 1 an à Bukoba, sur le bord du lac Victoria, et connait bien Mwanza…Apres tant avoir entendu parler du "Cauchemar de Darwin", j’ai finit par le voir, 1 an et demi aprèes sa sortie, à tête reposée.
J’ai été surpris : simplisme de la démonstration, utilisation du montage pour des effets d’association d’idées implicites, belle esthetique misérabiliste, au demeurant fort réussie…il ne s’agit pas là d’un reportage, qui ne tiendrait en aucun cas la critique. Il m’a semblé plutot avoir a faire à un point de vue, sur l’Afrique en général, avec ce que tout propos généralisateur propose d’approximatif et de simplificiateur.
Faire un film sur l’Afrique de Mwanza, c’est comme faire une film sur l’Europe en n’évoquant que la situation en France à St Etienne dans les années 80 …
Sauf que… :
La Tanzanie est justement l’exception qui confirme la règle, et que le lieu (Mwanza) est bien mal choisi pour batir une généralité
"l’enquete", notez les guillemets, est à charge, repose sur de l’implicite, sous-entend et ne prouve rien. Pour l’avoir vécu, je vous affirme que je peux faire sous-entendre à n’importe quelle prostituée ou pilote ukrainien, un soir d’alcool, que les avions repartent "à plein". Ca s’appele de la suggestion. Apres 6 bieres et la question suivante 10 fois reposée "alors, les avions repartent plein d’armes ?" J’obtiens une réponse lasse "oui, c’est ce qu’on dit". Je ne dis pas que cela n’est pas arrivé (cf guerre des kivus en 96 et 98). De là, à force d’insinuation et de non-dits, à en faire une preuve, il y a un long chemin, faut être un peu plus sérieux, c’est confondre rumeur et démonstration.
Je connais personnellement un ami proche qui a travaillé dasn les usines de de transformation de la perche du nil de Mwanza. Pour lui, c’était un bon boulot : paye régulière (l’emploi salarié est un luxe en afrique).
La tete de poisson est la partie noble du poisson en afrique de l’est (eh oui). C’est anecdotique, mais ca en dit long sur les décalages culturels. Montrez à un tanzanien (ou à n’importe qui sur cette planete) un français en train de manger un escargot, et vous verrez sa moue dégoutée…
Mwanza est un des villes d’afrique de l’Est les moins touchées par la prostitution que je connaisse.Bien sur, cette prostitution reste présente, mais comparée à Kinshasa, Dar es Salaam, Kigali ou Kampala…
Au final :
J’ai trouvé au documentaire un charme esthétique (grain du film, ambiance sombres)
Il m’a semblé que l’auteur développe davantage un point de vue personnel, voir un carnet de voyage
il ne s’agit pas selon moi d’un documentaire
Certaines thématiques abordées sont douteuses et racoleuses (trafic d’armes, prostitution qui donne à penser que Mwanza est un gigantesque bordel. C’est comme faire un documentaire su Paris en n’évoquant que Pigalle). Tant va la cruche à l’eau….
D’autres thématiqes me parraissent elles justes : désastre écologique (perche du nil dominante dans le lac), thématique du VIH, à laquelle la tanzanie réagit cependant depuis 2 ans avec énérgie et force, en développant un programme systématique et gratuit et - je le pense pour y avoir participé - assez exemplaire.
Voilà en résumé mon point de vue. Quand au débat sur la mondialisation et le boycott de la perche du nil qui s’en sont ensuivis…pffuit…réaction franco-centrée et déplacée, récuparation hors sujet, voilà bien le plus mauvais service à rendre à une région qui ne le mérite pas.
Sauper nous a servi un festin royal Garçon s’est chargé de sa dégradation
Nous ne voulons pas digérer aussi facilement et naïvement cette contre-vérité Garçon oeuvre pour la désinformation et Sauper pour la désintoxication
C’est sûrement plus rassurant d’être du côté de Garçon, mais cela n’est certainement pas la bonne position
Dans un monde de porcs, les rejetons de la mondialisation ont leur mot à dire et à méditer
Regardez BAMAKO, un documentaire de Abderrahmane Sissako, et vous comprendrez.
Faites vite avantl qu’on le flingue à son tour aussi
Ce genre de documentaires mérite d’être vu et re-vu par le monde entier.
On aspire à ouvrir nos yeux, mais on nous incite à les fermer à jamais
Je ne suis pas alter-mondialiste mais pour une mondialisation Responsable