Le cinéma municipal Georges-Méliès de Montreuil (93), qui souhaite passer de 3 à 6 salles, est attaqué en justice par les groupes UGC et MK2 pour « concurrence déloyale » et « abus de position dominante ». Un bras de fer public-privé, qui vire au pugilat , en pleine campagne pour les élections municipales, où s’affrontent notamment le maire Jean-Pierre Brard (apparenté PC) et la Verte Dominique Voynet. Plaintes, injures et morsures sont à l’affiche…
Deux requins sanguinaires la gueule ouverte s’apprêtent à avaler un petit poisson rouge. L’image parodie « Les dents de la mer » de Steven Spielberg pour évoquer le conflit qui oppose depuis plusieurs mois le cinéma municipal Georges Méliès de Montreuil (93) aux circuits privés UGC et MK2. Cet encart publicitaire a été diffusé le 9 janvier dans les colonnes de Montreuil Dépêche hebdo, L’Humanité, 20 minutes et Télérama.
Cela n’a pas plu à Marin Karmitz, le PDG de MK2, qui a porté plainte pour « injure publique » auprès du tribunal de grande instance de Bobigny. Il attaque les payeurs de la publicité (90 000 euros selon MK2, versés par la mairie de Montreuil et le Conseil général de Seine-Saint-Denis) et les journaux diffuseurs, à l’exception de Télérama, qui a téléphoné pour s’excuser.
L’affaire n’est pas banale. Le Méliès, municipalisé en 2002, après son abandon par UGC en 1986, projette de passer de trois à six salles d’ici à 2010. Il enregistre déjà 200 000 entrées par an, dont 150 000 entrées sur des films recommandés art et essai par le Centre national de la Cinématographie (CNC). L’agrandissement du Méliès fait partie du projet de rénovation du cœur de ville de Montreuil.
Le nouveau cinéma quittera le centre commercial de la Croix-de-Chavaux pour s’installer en face de l’Hôtel de ville. Le projet d’extension a été voté à l’unanimité par la Commission départementale d’équipement cinématographique (CDEC). Les travaux devraient commencer courant février pour une ouverture prévue fin 2009. Le chantier, d’un montant de 14 millions d’euros, est financé par l’Etat (le CNC), la région, le département et la ville.
A priori, rien de bien extraordinaire. Sauf que les groupes privés n’apprécient pas ce trublion public. MK2, qui gère 10 salles dans Paris, et UGC, deuxième exploitant de cinémas en France derrière Europalaces, totalisent 44% des écrans et 55% des entrées en salles à Paris intra-muros. Les deux circuits ont déposé deux recours juridiques distincts, en juin et juillet dernier, contre le projet d’extension auprès du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (95) pour « concurrence déloyale » et « abus de position dominante ».
UGC et MK2 estiment que l’extension du Méliès concurrencera leurs cinémas respectifs, et plus particulièrement l’UGC de Rosny-sous-Bois (troisième cinéma de France avec 15 salles et 2,3 millions d’entrées) et les MK2 Nation et Gambetta (4 et 6 salles). « Ils diffusent les mêmes films que nous, à un prix de 2,50 euros inférieur ; le tout en recevant des subventions de 500 000 euros », avance Alain Sussfeld, le directeur général d’UGC.
Un argument qui fait sourire Stéphane Goudet, le directeur du Méliès. Selon lui, MK2 reçoit également des subventions, au titre de l’art et essai. Le MK2 Beaubourg (80 000 euros d’aides), par exemple, serait, selon lui, l’un des cinémas le plus subventionnés de France par le CNC.
Bref, chacun s’accuse d’être biberonné par l’Etat ! La querelle chiffrée se poursuit sur un autre terrain. Selon les calculs d’Alain Sussfeld, l’UGC Rosny et le Méliès ont 45% de séances communes. Ce recouvrement des programmations serait de plus de 30% entre le MK2 Nation et le cinéma de Montreuil. D’où le risque de concurrence. Le directeur du Méliès, de son côté, a fait sa propre étude, en tenant compte des versions (originale ou française) des films et des séances scolaires, pour aboutir à des chiffres bien inférieurs, respectivement à 3,99% et 16,58%.
Le bras de fer s’est envenimé. Certains en font un symbole de la lutte des cinémas d’art et essai et de proximité contre les « ogres » des circuits privés. Une pétition de soutien au Méliès a recueilli en quatre mois plus de 13 000 signatures, venant aux quatre cinquièmes de Montreuillois(es), mais également d’une centaine de cinéastes français et internationaux, dont 8 Palmes d’or.
Christine Albanel, la ministre de la Culture et de la Communication, a déclaré le 20 octobre : « A mon sens, il n’y a pas de concurrence entre le Méliès et ces deux circuits ». Cette prise de position surprend Alain Sussfeld : « Une ministre de la Culture, UMP, qui soutient un maire communiste, c’est formidable, mais je promets qu’elle ne connaît rien au dossier », clame-t-il du haut du neuvième étage de son bureau à Neuilly-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine.
Les Montreuillois(es) semblent attachés à leur cinéma. « J’aurais vraiment préféré que le cinéma reste dans le centre commercial. Mais tant qu’il demeure à Montreuil… », regrette Philippe Abraham, poissonnier et président de l’association des commerçants du centre commercial de la Croix-de-Chavaux. « Il n’est pas rare d’arriver au cinéma et que ce soit complet. Pour un cinéma de banlieue, c’est un bel exemple de réussite », souligne une autre pétitionnaire Montreuilloise.
Toutes les forces politiques de Montreuil sont également unies derrière leur Méliès. Mais la campagne des municipales ravivent le débat, avec quelques divergences. Le député-maire sortant, Jean-Pierre Brard (apparenté PCF), connu pour ses coups de gueule, qui se présente pour un cinquième et dernier mandat, a déposé le 12 décembre dernier à l’Assemblée l’amendement dit « pop-corn », destiné à taxer les ventes de produits dérivés (pop-corn, confiseries, DVD, CD, restauration…) des cinémas qui font plus de 7 500 entrées hebdomadaires, soit près de 400 000 par an. Une pierre dans le jardin des gros circuits…
De son côté, Dominique Voynet, sénatrice de Seine-Saint-Denis et tête de liste des Verts pour les municipales, aurait préféré laisser le Méliès tel quel à la Croix-de-Chavaux et construire trois nouvelles salles dans le Haut-Montreuil, zone plus défavorisée. Elle défend une diversité des cinémas : « Rien ne m’empêche d’aller voir un film tibétain en version originale de 2h30 et le lendemain Pirate des Caraïbes avec mes enfants. On n’est pas obligés de se punir si on aime le cinéma ».
Les Verts, forts des 29% des voix obtenus aux dernières municipales, constituent une vraie menace pour le maire sortant, décrit comme un « autocrate ». Ils dénoncent les raisons de l’extension. « Brard n’arrivait pas à remplir le Cœur de Ville. La première raison du transfert du Méliès, c’est celle-là, pas celle d’une extension pour manque de salles », explique Patrick Petitjean (Verts), ancien élu municipal. Il évoque, pour exemple, la demande faite par Brard à … MK2 de s’installer en face de l’Hôtel de Ville. MK2 avait refusé pour ne pas couler le Méliès. Un épisode que Marin Karmitz, le PDG de MK2, n’a pas voulu commenter, n’ayant pas donné suite à notre demande d’interview.
Pour tenter de trouver une solution à ce mic-mac judiciaro-politico-économico-cinématographique, les ministères de la Culture et de l’Economie, peu favorables ont lancé, le 25 septembre 2007, une mission conjointe sur le droit de la concurrence dans le cinéma. Les conclusions du rapport d’Anne Perrot et de Jean-Pierre Leclerc devraient être remises fin février.
Stéphane Goudet, le directeur du Méliès, est confiant. Mais si l’Etat semble soutenir le Méliès, les dernières actions menées pour la défense du cinéma de Montreuil n’ont pas été vues d’un très bon œil. Le 26 janvier, une manifestation des partisans du Méliès s’est déroulée devant le MK2 Bibliothèque, dans le 13e arrondissement de Paris. Elle a débuté dans la joie et la bonne humeur, avec un cortège de ballons rouges, avant de se solder par une attaque en justice de MK2. Marin Karmitz a peu apprécié l’attitude du député-maire Brard, qui aurait mordu au bras un employé de MK2 alors qu’il tentait de pénétrer à l’intérieur du cinéma. Une accusation que le maire de Montreuil dément.
En attendant l’avis de la justice sur ces deux litiges supplémentaires, et le sort des recours de fond, le Méliès poursuit son combat. Le prochain rendez-vous est pris le 22 février, pour la cérémonie des Césars. « Nous ferons des actions répétées tant qu’UGC et MK2 n’auront pas retiré leur recours », affirme Jean-Pierre Brard.
La séance, décidément, n’est pas terminée !