Les dernières années de la vie de Louis Aragon sont contées par notre collaborateur Patrice Lestrohan. De 1970 à 1982, après la disparition d’Elsa Triolet, sa muse et femme pendant quarante-deux ans, un nouvel homme se révèle.
L’histoire était encore vivante – sa fin n’avait pas encore été proclamée par Francis Fukuyama –, l’Odéon de Jean-Louis Barrault était un laboratoire de la création, dans un velours rouge et des bois dorés. Les jours de relâche, les portes restaient ouvertes pour des « soirées littéraires ». Jeune journaliste, je me souviens d’une salle bondée face à une scène vide, excepté une table et une chaise. Sur le siège, un homme grand habillé d’un costume de ministre avec des cheveux très blancs. Il se taisait et le public aussi, comme dans une méditation surprise dont on aurait oublié de nous fournir l’objet. Louis Aragon, héros de la nuit, était immobile et muet.
Une porte claqua, une petite dame, fourmi humaine, entra, ses pas émettant un bruit de feutre frotté : Elsa. Aragon descendit de scène pour accueillir la femme de sa vie, qui prit place au milieu du premier rang. Remonté à son poste, Louis se mit à déclamer : « Mesdames, messieurs, mon amour. » Puis toute cette soirée, théoriquement à lui consacrée, fut sacrifiée à elle. Quelle punition que l’exégèse de cette oeuvre banale et surgonflée d’une femme vipère. En scène, Aragon jouait, à retardement, les jaloux. Évoquant un mystérieux hussard tournant, quarante ans plus tôt, autour de sa muse, et dont il avait retrouvé des lettres. Blessant pour qui avait jusque-là cru en la sincérité des Yeux d’Elsa en hublots de l’amour fou.
C’est à la mort du serpent qu’Aragon est revenu dans Aragon, a recommencé à vivre. Retrouvant l’oxygène de ses débuts surréalistes. C’est ici que Patrice Lestrohan met sa plume en marche. Pour nous faire découvrir le dernier Aragon, le plus gai. La question arrive en tête du livre : « Quand on sait ce que furent les dernières années d’Aragon, comment imaginer qu’il a pu aimer Elsa ? » Alors « mon sombre amour d’orange amère, ma chanson d’écume et de vent, mon quartier d’ombre… » rien que du bidon ? Le « quartier d’ombre » était plutôt un quartier-maître !
La réponse à cette question, la valeur de l’amour porté à Elsa, n’a pas d’importance. Ce qui ne ment pas, c’est l’oeuvre du grand Louis, la Semaine sainte et le Roi Boabdil. Même si, en ondulant ses mots autour de l’ancienne copine de Maïakovski, Aragon pensait très fort à un jeune marin. Bien sûr membre du Potemkine…
Le livre de Lestrohan fait l’autopsie d’un Aragon inconnu et même inimaginable pour qui retient les critères habituels du Parti communiste français, et il tombe à un moment utile. Le grand poète n’est pas encore oublié, mieux, la mort d’un autre, Jean Ferrat, l’a réactivé à coups de doubles croches. L’écrivain déboulonne le bronze stalinien pour le montrer tel qu’il est, homosexuel dragueur, ami des riches et de la richesse, épicurien et peu bétonné dans ses certitudes philosophiques. C’est Aragon en défroqué clandestin du Parti, plume à la main à la fête de l’Huma et plume au cul pour des bacchanales, le soir même avec une cour de jeunes amis réactionnaires, habillés en YSL. Le cap Brun, point étroit sur la carte mais si chic du front de mer toulonnais, étant son port d’attache. Ah, la marine à vapeur et la main au Banier !
Le Dernier Aragon est un livre de détente. Dans le sens du gaz comprimé. La vie de Louis nous était présentée comme une bouteille, lourde, triste et consignée, voilà qu’il est plus léger que l’air et fou comme Rimbaud. On ne mange pas chez lui des harengs mais du caviar, il insiste : « N’hésitez pas, ça vient d’en face… » Autrement dit de l’ambassade soviétique, qui est son Télémarket.
Délivrée d’Elsa, la maison d’Aragon est un « open space » accessible à tous. Même Jean- Marie Rouart, le gominé d’extrême centre, qui écrit (si mal) et à l’eau tiède, branche un jour Aragon sur Drieu la Rochelle. Il aurait mieux fait de l’interroger sur Paul Nizan. Diffamé par le PCF avec Louis tenant la baguette de l’orchestre d’infamie. Sartre en coulisses, le compagnon de route, rivant les derniers clous du cercueil. Dans ces lignes passionnantes, le gay Aragon n’est pas toujours drôle.
Vous pouvez me trouver un poème d’Elsa sur la toile svp ? Une petite citation alors ? Sans qu’on voit nulle part le nom de son saigneur et maître ?
Les femmes n’ont pas d’histoire. Et on ne leur fait même pas l’insulte de le dire. On ne signale cet "oubli" que par le spectre de leur épouvantable influence.. on ne sait jamais. L’explication à 2 balles de cette forclusion nommée d’avance "continent noir" au cas où. Votre peur hypocrite de domination de notre part est tellement pratique pour pouvoir continuer de fermer les yeux sur votre gynocide intellectuel. Cet esprit malsain qui règne dans la guerre de fils contre le Père tout puissant, votre sempiternelle histoire de mecs qui "se tiennent par les couilles" comme vous dites.. peut aller désormais jusqu’à la destruction de l’Humanité.
Mais ça vous est bien égal. Même quand la vie vous contraint à comprendre que vous êtes tout seuls à patauger dans votre votre bétise, vous continuez d’en accuser les femmes. Et même pas pour leur absence.
Elsa se retourne encore et toujours dans sa tombe, où elle fut enterrée vivante comme nous toutes.