Un Français n’est pas responsable de lui-même et des siens de la même façon qu’un Congolais ou qu’un Nord-américain. Dans Responsabilité et cultures du monde, ouvrage coordonné par la socio-linguiste Edith Sizoo, onze cultures différentes discutent tour à tour de la notion de responsabilité et de ses mises en pratique dans les différentes sphères de l’humain, sociale, familiale, politique et éthique.
Puis-je découper mon voisin, voler mon maraîcher, ou me dorer la pilule pendant les législatives, de manière indifférenciée, au Congo, en France, au Brésil ou encore en Inde ? Dans quelle mesure ma responsabilité est-elle engagée selon chaque culture ? Onze chercheurs de différents pays (Etats-Unis, Congo, France, Allemagne, Brésil, Inde, Chine, Philippines, Nouvelle-Zélande, monde arabo-islamique, Géorgie) dans une symphonie débordante d’humanisme, se livrent à une analyse linguistique rigoureuse mais accessible du mot « responsabilité ».
Chacun donne sa définition et tente de faire écho à celles des autres. Il en ressort des points communs décisifs, être responsable relève à la fois du fardeau, du devoir, de la confiance, et de l’autorité. La notion de responsabilité est avant tout relationnelle, de soi à soi, de soi à autrui, de soi à la communauté. Chaque voix invite à réfléchir sur une politique commune de l’action collective pour engager une voie plus altruiste, plus respectueuse de l’humain et de la nature, en un mot plus responsable, pour nous et pour les générations à venir. Mais le « polylogue » met aussi en lumière de drôles de contradictions : les chapitres, consacrés à chacun des pays, accusent des différences symptomatiques.
Vue des Etats-Unis, la notion est sous-tendue par un libéralisme exacerbé qui place l’individu au-dessus de toute valeur, et révèle ainsi la tendance à la déresponsabilisation encouragée par un Etat Providence ; l’américain moyen ne veut rendre des comptes qu’à lui-même. Soit. Hélas, on frise la fausse note quand le propos s’élève à la technophobie ; l’empire ravageur de la technique asservit nos valeurs fondamentales et entrave l’action responsable, il faut agir ! La solution ? Jean-Paul II bien sûr ! « Le commandement d’amour » (p.108) peut nous permettre de renouer avec notre responsabilité sociale, on aurait dû y penser plus tôt ; les américains s’en chargent.
Les dialectes de Centre-Afrique eux, mettent la responsabilité au cœur de la famille. Mais avant de se sentir responsables, rappelle l’auteur, les Africains auraient peut-être besoin de se nourrir et de se loger convenablement. C’est vrai, chacun ses priorités.
Loin des nécessités de l’Afrique, le Français, qui atteint le record des citations et des notes de bas de pages les plus longues, théorise. La responsabilité, il est clair, est affaire de masturbation intellectuelle et de métaphysique.
L’Europe révèle là toute sa grandeur, la responsabilité se panse et se repense, s’élabore à coup de Locke et de Kant, de contrat social, et ô, cerise sur le fardeau, de « cosmothéandrie », (p.179).
Si les réflexions françaises, allemandes et américaines ont le mérite de systématiser le concept de responsabilité et ses implications dans leur culture respective, concrètement elles n’apportent rien, elles ne parlent que d’un concept abstrait, quand le Congolais, le Philippin ou le Chinois parlent d’une pratique, d’une réalité quotidienne. Cette différence fondamentale entre théorie et pratique, ces échos ratés entre culture occidentale et autres cultures parlent d’eux-mêmes. Le concert aura bien lieu, suivant une brillante composition de l’Occident, interprétée par les autres pays. Une vraie sympho-niet.