Tariq Ramadan, Al Qaida, Al Zarkaoui, aucune des figures du grand Satan islamiste n’échappe (ou alors de très très peu) à l’ineffable reporter Mohammed Sifaoui.
D’après la légende, Mohamed Sifaoui est un opposant algérien qui a fuit son pays à la fin des années 1990. Mais, quelques mois seulement après avoir débarqué en France, « l’opposant » est bizarrement devenu l’ami de certains haut-gradés algériens, au point de venir soutenir le très sympathique général Khaled Nezzar lors d’un procès qui s’est tenu à Paris en 2002.
Transformé en pourfendeur de « l’islamisme », le dynamique Mohamed est devenu le fournisseur officiel de barbus aux chaînes de télévision françaises qui louent ses services comme on loue ceux d’un traiteur pour une soirée d’anniversaire. C’est ainsi que, dès 2003, son inséparable caméra cachée lui a permis de démasquer, pour France 2 et M6, une prétendue « cellule d’Al Qaida à Paris ». Une étrange affaire qui s’est soldée par « la fuite » du principal protagoniste du « reportage » – un soi-disant militant algérien du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) – en… Algérie, pays où le « jihadiste » coule, d’après nos informations, des jours assez tranquilles. Il se passe des choses étranges en Algérie.
Mais l’Algérie est un trop petit pays pour satisfaire les appétits de Mohamed Sifaoui qui, auréolé de ce premier succès télévisuel, s’est rapidement lancé « sur les traces de Ben Laden » au Pakistan, pour M6, manquant le chef d’Al Qaida d’un poil de barbe (2003), avant de traquer Abou Moussab Al Zarkaoui en Jordanie, pour la même chaîne, sans plus de succès (2005). Ces derniers temps, c’est principalement pour l’émission du service public Envoyé Spécial que le journaliste en rangers fait chauffer sa caméra cachée, avec des « enquêtes » au bazooka contre les mosquées de banlieues (2004), contre Tariq Ramadan (2004), contre les « émeutiers » de banlieues (2005), contre les « islamistes » danois (2006), etc. Chefs d’œuvre de manipulation, comme cela a été prouvé dans une édition d’Arrêt sur images sur France 5 en 2006, les reportages de Mohamed Sifaoui font exploser l’Audimat, et ont l’odeur âcre de la terre brûlée.
Ceux qui veulent comprendre ce qui s’est tramé lors de la trop fameuse « affaire des caricatures de Mahomet » [1] qui a défrayé la chronique en février dernier perdront leur temps à lire le nouveau livre de Mohamed Sifaoui, sobrement intitulé L’affaire des caricatures. On n’y apprend rien sur cette affaire qu’on ait déjà lu dans les journaux. Les lecteurs qui, par contre, aiment qu’on leur fasse peur – et qu’on les prenne au passage pour des imbéciles – y trouveront sans doute leur compte (18 euros).
Car l’affaire des caricatures danoises n’est pour Sifaoui qu’un prétexte pour seriner, une fois de plus, ses théories farfelues sur le danger qui menace la planète : l’islamisation du monde. C’est en tout cas ce que l’on comprend quand le grand journaliste nous explique que l’affaire des caricatures n’est que la partie immergée d’une offensive généralisée contre « le monde occidental ». Bientôt, prévient-il à demi mot, les athées ne pourront plus blasphémer, les chrétiens seront privés de porc et le prêt à intérêt sera banni des banques occidentales (p 164-165). Mince !
Ceux qui mènent cette offensive sont, bien sûr, très méchants. La preuve : ce sont des « islamistes », décrète Mohamed Sifaoui qui utilise ce concept creux à 225 reprises (sur 178 pages en gros caractères)… sans jamais l’expliquer autrement que par analogie avec « le totalitarisme », « le fascisme » et « le nazisme ». Un amalgame d’une confondante banalité qui évite d’avoir à trop réfléchir (George Bush, qu’on sait être un fin intellectuel, l’utilise régulièrement pour justifier sa « guerre contre le terrorisme ») et qui permet à Sifaoui de cracher impunément sur tous ceux dont la tête ne lui revient pas. Les imams danois qui contestèrent la publication des caricatures ? Nazis ! Les manifestants qui protestèrent contre les dessins dans de nombreux pays ? Les Frères musulmans ? Tariq Ramadan ? Nazis ! Nazis ! Nazis !…
Par ce subtil jeu d’écriture qui transforme à peu près n’importe qui en représentant du mal absolu [2], Sifaoui peut filer la métaphore ad nauseum. Il radote, c’est la tarte à la crème, sur « l’esprit munichois ». Il parle du « fascisme vert [prêt à] défiler sur les Champs-Élysées » (p 19). Et il rappelle aux « esprit libres » d’aujourd’hui l’« exode d’Européens dans les années 1930, quand d’autres esprits libres ont été contraints de quitter l’Allemagne » (p 172)… Il y a évidemment, dans cette guerre contre « l’islamo-fascisme », des « collabo » et des « résistants ». Sachant qu’« être opposé à la publication des caricatures » vous place mécaniquement « du côté des islamistes » (p 116), on distingue facilement les deux camps.
Et on comprend aisément pourquoi les « munichois » sont si nombreux : tous les journaux qui estimèrent inutiles de jeter de l’huile sur le feu, tous les gouvernements occidentaux qui cherchèrent à calmer le psychodrame et même les services de sécurité européens qui, nous explique Sifaoui, brossèrent les « islamistes » dans le sens du poil (la police, c’est bien connu, adore les barbus)… Face à ce collaborationnisme généralisé, les « résistants » ne peuvent qu’être des héros dont le bon Mohamed, c’est la moindre des choses, salue les noms : Daniel Leconte, Bernard-Henri Lévy, Taslima Nassreen, Salman Rushdie, Caroline Fourest, Ayan Hirsi Ali, Philippe Val, Antoine Sfeir [3] … Autant de personnalités anonymes et méprisés des grands médias auxquels il faut ajouter Guilaine Chenu et Françoise Joly, responsables de l’émission Envoyé Spécial (France 2), qui eurent le courage de diffuser, le 23 mars 2006, une « enquête » sur les caricatures réalisée par… Mohamed Sifaoui.
Car la pénible démonstration de Mohamed Sifaoui n’est en réalité qu’un pathétique plaidoyer en faveur de Mohamed Sifaoui himself. Vivement critiqué au Danemark après la diffusion du « reportage » d’Envoyé Spécial par une chaîne locale – au point qu’il a dû « cacher [ses] rushes en lieu sûr » pour éviter la saisie de la police danoise… (p 149), notre Jean Moulin des temps modernes se dépeint en véritable martyr de la cause « anti-islamiste ». Une posture qu’il affectionne particulièrement, et qui lui servira sans doute d’argument marketing pour continuer à vendre à bon prix ses reportages et ses théories à l’emporte-pièce aux mastodontes de l’audiovisuel hexagonal. Et comme le XXIe siècle « sera celui de la connerie », prophétise Sifaoui, qui est aussi poète (p 20), on ne peut que lui prédire une bonne fortune.
[1] L’affaire des caricatures, dessins et manipulations, Editions Privé, Paris 2006
[2] C’est ainsi que les « vingt-sept associations musulmanes » reconnues au Danemark (p 78) deviennent comme par magie, quelques pages plus loin, « vingt-sept associations islamistes » (p 158).
[3] Les sept derniers cités ont sauté sur l’occasion des caricatures pour signer, le 28 février 2006, un énième « appel » assimilant « l’islamisme » au « totalitarisme » : Ensemble contre le nouveau totalitarisme, l’islamisme.
Dans cet article je n’ai vu qu’une seule info que chacun peut trouver sur wikipedia : Sifaoui serait un proche de militaires algériens.
J’aimerai savoir ce qu’il y a derrière cette "proximité" avec des militaires algériens. Caroline Fourest qui n’est pas la dernière des connes a quand même apporté clairement son soutien à Sifaoui et l’a défendu sur ce point…
Mais puisqu’on est ici dans la polémique stérile, je vais me contenter d’apporter tout mon soutien à Sifaoui. J’adore son style que je préfère de loin à celui des tapoteux de l’internet qui parlent de déontologie pour faire oublier leur couardise de rat de bibliothèque :)
Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ! ! !
Dire que c’est grâce à Oncle Bernard dans Charlie Hebdo, que j’ai découvert ce site… Visiblement, la bétise et l’ignorance s’y développe très bien. Non seulement cet article est un concentré d’inepties, mais je soutient de tout mon coeur Mohammed Sifaoui et tout ceux luttant contre l’obscurantisme et la crétinerie religieuse, quelle soit mulsulmane, chrétienne, juive, boudiste, j’en passe et des pires !
Ce qui me fait le plus de peine, c’est que des mulsulamans à priori modérés (mais pas idiots visiblement) ne supportent pas qu’on touche aux extrémistes qui pourrissent leur religion. Je trouve que Georges Bush est le pire président américain jamais élu, mais je suis entièrement d’accord avec lui lorsqu’il parle de faschisme islamiste (ce qui ne veut pas dire que j’approuve ces coups d’éclats au moyen-orient !).
Je soutient également le manifeste paru dans Charlie Hebdo contre cet islamisme nauséabond, et pour le respect des valeurs démocratiques et républicaines dans le monde. Cela vous étonnera peut-être, mais il existe des arabes athées qui pensent exactement la même chose que moi, mais cela vous passe certainement au-dessus puisque si vous en venez à confondre islamiste (intégriste) et musulman, vous pensez certainement que tous les arabes sont musulmans…
Il est quand même incroyable, par exemple, qu’au XXI ème siècle on ne puisse plus dire que Allah est le roi des cons sans qu’une fatwa nous tombe dessus, que Jésus est le pire des crétins sans se faire crucifier et que Yhavé est le dernier des abrutis sans se faire lapider !
Marx avait parfaitement raison (ce qui n’était pas souvent le cas) lorqu’il affirmait que les religions sont un poison !
Salut Sylvain,
"Cet article est un concentré d’inepties", dites-vous. C’est possible. Mais votre commentaire eut été plus convaincant si vous nous aviez dit lesquelles… Donnez-nous quelques précisions, quelques exemples, quelques faits pour étayer votre sentence ! "Je trouve que Georges Bush est le pire président américain jamais élu, mais je suis entièrement d’accord avec lui lorsqu’il parle de faschisme islamiste", ajoutez-vous. Ouille ! Ca ne vous chatouille pas un peu, en tant que détestateur de Bush, quand vous apprenez que la chasse au soit-disant "fascisme islamiste" est sa seule et unique politique depuis 6 ans ?… Enfin et surtout : éclairez-nous sur la définition des termes que vous employez (de concert avec votre ennemi Bush et votre ami Sifaoui…) : "islamistes" (forcément "nauséabonds" ?)et "mulsulamans (sic) à priori (re-sic) modérés" (qui sentent la rose, évidemment, comme les généraux algériens…). C’est où "modéré" ? C’est où "islamiste" ? Eclairez-nous, de grâce, vous qui avez l’air d’être un géopoliticien de renom et/ou un exégète imbattable de la pensée coranique ! L’auteur de l’article évoque "un concept vide" pour parler de l’islamisme. Je dois avouer qu’à la réflexion, je suis complètement d’accord avec lui… alors même que, le croirez-vous ?, je pars a priori des mêmes opinions que vous ! Un conseil d’ami, donc : branchez votre cerveau et réfléchissez à la propagande sémantique qui ne vous l’a que trop abimé ! Pour lutter contre les bons "ennemis", il faut aller un peu plus loin que les élucubrations marketting du sieur Sifaoui !
Azia
PS : Vous dites aussi : "Cela vous étonnera peut-être, mais il existe des arabes athées". Ben oui (j’en suis moi-même un exemple) ! Mais qui a dit le contraire ?????
Grand bravo pour cet article.
Je vous suggère ainsi qu’à tous ceux qui veulent en savoir plus sur M. Sifaoui, de vous pencher sur son passé en Algérie et sur la manière dont il a pu se faire passer pour un "pourchassé par les militaires algériens" pour s’introduire en France. Un vrai régal. Seulement, Sifaoui n’est pas la perle rare. D’autres, "journalistes" algériens pourraient renforcer sa démarche. Il suffit d’un coup de fil de "tonton makrout" pour que le régimant se déchaine. Mais comme l’histoire ne s’écrit pas au présent, il faudra attendre encore une ou deux décennies pour découvrir les MENSONGES de la presse algérienne durant la décennie rouge. Salutations
Djamel