Contrairement à ce que croit mon beauf, cela fait des années qu’entreprises publiques et administrations se sont initiées aux joies du management moderne.
« Pourquoi ils se suicident à France Télécom ? Ils ont un problème avec le management moderne ou quoi ? Les objectifs, la mobilité, les évaluations…c’est le quotidien dans ma boîte. Et c’est pas pour ça qu’on bouffe des cachetons », me lâche Bruno, mon beauf, un rien agacé..
D’abord, Bruno, contrairement à ce que tu crois cela fait des années qu’entreprises publiques et administrations se sont initiées aux joies du management « moderne », comme tu dis. Et paient, grassement, des cabinets de conseils spécialisés censés les propulser dans l’ère de la modernité. Petit retour en arrière.
En 2001, en pleine sinistrose, les grands cabinets de conseil en organisation ont toutes les peines du monde à écouler leur Powerpoint de 500 pages. Leurs clients traditionnels, les grandes entreprises, serrent leurs coûts et entament, après des années d’excès, une cure de désintoxication. Heureusement, le public va prendre le relais. Patiemment démarché, il ne tarde pas à se convaincre que son mode d’organisation, ses valeurs, sont totalement « has been » et va goûter à cette drogue dure qu’est le conseil en « conduite du changement ».
France Telecom, puisque tu en parles, avant même d’emprunter la voie de la privatisation a eu massivement recours aux services de consultants en réorganisation et gestion des ressources humaines. Avec le succès que l’on sait. Preuve que l’entreprise est devenue totalement accro, le numéro 2 de l’opérateur historique, Pierre-Louis Wenes a été directement débauché du cabinet AT Kearney, un des leaders du marché. Ce qui n’a pas empêché ledit cabinet de facturer ensuite à France Télécom ses missions des millions d’euros. A la Poste, mise elle aussi sur la voie du management par « objectifs individuels », Régis Blanchot, administrateur Sud PTT, explique qu’il est impossible d’obtenir le détail des sommes versées à ces cabinets : « C’est totalement opaque. Dans les comptes, les honoraires sont noyés dans le coût total de telle ou telle réorganisation ». Idem à EDF ou à la SNCF.
De leur côté, ministères et administrations n’ont pas été plus sobres et sont eux aussi devenus accros. La RGPP (la fameuse Révision générale des politiques publiques) lancée en 2007 sur le thème de la chasse au gaspis, a ouvert un boulevard à ces entreprises de conseil. A l’Equipement – dont l’Humanité révélait récemment qu’il y sévissait une inquiétante vague de suicides – ces cabinets sont devenus incontournables. « Celui qui voyait son poste supprimé par une énième restructuration se voyait offrir les services d’un coach », raconte un fonctionnaire.
Sympa. Mais, là encore, pas gratuit. « Ce qui est choquant c’est de voir les sommes qu’on dépense en consulting, alors que nous avons des ressources en interne capables de faire ce travail et ce au moment où l’on nous dit de réduire notre train de vie » s’étrangle un fonctionnaire de Bercy. François-Daniel Migeon, chargé de mettre en œuvre la RGPP sort lui de MC Kinsey. Mais, Bruno, c’est pure coïncidence, tu t’en doutes.