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La troisième vague

Coup de boule / mardi 28 octobre 2008 par Jacques Gaillard
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Au début, c’était une affaire de banquiers, et l’on appela ça : la crise financière. Ensuite, nous y sommes, on compta les billes, et l’on constata la récession : c’est la crise économique. Il reste à envisager, hélas, une troisième vague, et ce sera la crise politique, nourrie, évidemment, par un massacre social qu’on n’ose pas même évoquer.

Il s’agit de se remettre à penser. On admirera plus tard la façon dont des pensées stupides, mais brillantes et opportunistes, ont reçu, pendant ces cinquante dernières années, un accueil béat de la part de nos plus subtiles intelligences. Quiconque a lu Fukuyama, je dis bien : lu, avec le regard et le savoir que garantit, normalement, une compétence lentement acquise dans l’étude (et pas seulement l’illusion que procure une chaise dans un magazine littéraire à la télé), quiconque, donc aura lu, en son temps, La Fin de l’Histoire, aurait pu y reconnaître un livre d’une incroyable légèreté, nourri d’approximations historiques aveuglantes et d’affirmations emphatiques, bref, un pur produit de ce kitsch intellectuel qui, de temps en temps, sert de bonbon sucré aux universités américaines. Il faut se souvenir de Marshall Mc Luhan annonçant en 1962 la fin de la « galaxie Gutenberg » : une analyse forte en ses principes peut finir en quenouille, si la mode s’en mêle. Exit donc Fukuyama, qui ne sert plus qu’à caler les tables bancales.

Ensuite, il y eut les économistes – entendez par là, les économistes du libéralisme fou-fou-fou (mais, pour eux, rationnel par la seule naturalité du marché…), cet Hayek dont on bourra les copies de Sciences Eco et de concours de l’ENA sans plus réfléchir, en se gargarisant de « déconstructivisme » et autres concepts succulents. Eh oui, l’économie fit illusion, on envisagea qu’elle puisse être une science, et même, selon des fanatiques, la seule science, les autres se partageant entre bidouillages de labos et dissertations poétiques sur l’Histoire ou l’Être. Un esprit un peu froid aurait hésité sur le diagnostic : propagande ultra-capitaliste ou délires de mégalomanes ? Tous les symptômes d’une utopie théoricienne étaient visibles noir sur blanc : on se complut à des querelles de mots et à des polémiques universitaires, sans même voir que ce zeppelin bombardait, chez Thatcher comme chez Pinochet, les fondements même de la démocratie (sans parler de la justice sociale, qui, rappelons-le, n’est pour Hayek qu’une invention des socialistes…).

Et maintenant, le premier commentateur venu, sur la radio du matin, sonne le tocsin dans le désert. Elles se sont tues, les grandes voix qui ont bercé la crise. Et on n’entend pas grand chose, en retour. Il est vrai que l’habitude de se taire s’acquiert facilement, dès lors que l’on se contente de répéter ce que les autres ont dit… Le premier rang, depuis des années, a été tenu en France par des penseurs de seconde main, hommes d’essais et de presse, conseillers mondains, lapins de clapiers présidentiels. Lorsqu’il s’est agi de crier au loup, d’évoquer des dangers, de rappeler des fondamentaux économiques et sociaux, bref, de dessiner sur le mur l’ombre du diable, en parlant d’appauvrissement national, de « financiarisation » ou de « virtualisation » de l’économie, en dénonçant la spéculation et même l’asservissement des stratégies économiques aux seuls intérêts des actionnaires, on est passé pour des gauchistes, des névrosés d’Attac, des marxistes séniles et bien d’autres ringardises. Qui, « on » ? Pas besoin de lancer des noms : il ne s’agit pas de distribuer des médailles. Mais ils ont été nombreux à tirer, comme se doit de le dire tout journaliste bien élevé, la « sonnette d’alarme ».

Reste à adopter une attitude par rapport à cette troisième vague, et les politiques ne peuvent plus se planquer derrière des gourous ratatinés par la réalité. La crise économique déferle, la crise énergétique est toujours là (la baisse du brut n’efface pas sa raréfaction !), et la crise politique sera à la mesure des dégâts sociaux : si l’on a le courage de recadrer les choix fondamentaux en matière de fiscalité (supprimer le « bouclier », foudroyer l’évasion fiscale), maintenir la consommation en empêchant une paupérisation massive des salariés (soutien à la fois des bas salaires et des investissements, réduction des marges et des hautes rétributions, plafonnement des loyers et des tarifs publics, etc…), investir à fond dans la recherche et l’innovation (seul terrain où l’on trouvera le grain à moudre demain), si, donc, l’on ne dissocie pas le maintien des équilibres sociaux de l’aide aux entreprises et à l’activité économique, alors, ce ne sera peut-être qu’un gué difficile à passer. Politiquement, ce n’est pas évident : la droite s’est enlisée dans une imbécile jubilation libérale avant de se réveiller verbalement keynésienne, et son personnel ministériel, d’une faible envergure, d’une compétence douteuse, cramponné à des données dépassées, ne se soucie pour l’heure que de préserver les privilégiés qui sont sa clientèle ; quant à la gauche, elle était déjà divisée, il y a dix-huit mois, sur la nécessité de relever le SMIC, et à l’heure actuelle, bien malin qui peut voir quelles sont ses analyses et ses intentions !

Cette double faiblesse politique est le pire danger, car il faut garder l’enjeu présent à l’esprit : les crises portent en elle la capacité de faire exploser les démocraties. Cela, ce n’est pas de la théorie : il suffit de connaître l’histoire du XXe siècle.

La rédaction : Jacques Gaillard est un érudit. Ancien élève de l’ENS, il devient prof de latin à la fac de Strasbourg. Il écrit beaucoup. Il a reçu entre autres le prix Renaudot de l’essai, en 1996. Il a collaboré au Monde et à Marianne2 (personne n’est parfait) avant d’élire Bakchich.info pour des Chroniques Nostalgiques, petits chefs d’oeuvre d’écriture.

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  • La troisième vague
    le jeudi 30 octobre 2008 à 20:41, Sortons couverts , non , crédules ! a dit :

    Laurent Lafforgue est professeur à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) et récipiendaire de la Médaille Fields 2002.

    « Les mathématiques financières sont la technique de la gestion de l’argent ; et l’argent est l’abstraction du travail des hommes. S’il faut récuser les mathématiques financières, il faut récuser aussi le point de vue exclusivement technique et abstrait qui est au fondement de toute l’économie moderne et même de toute la représentation moderne de lui-même que l’homme s’est forgée. Or c’est ce que l’on ne fait pas : comme tous les phénomènes de nos sociétés, la crise financière actuelle n’est envisagée que comme un problème technique, susceptible d’être traité ou résolu par des mesures techniques, de nouvelles règles générales et abstraites, un nouveau mode d’organisation « qui fonctionnerait mieux », etc. On ne raisonne qu’en termes mécaniques, comme si les individus vivants étaient des particules élémentaires soumises à des lois, économiques ou autres, conçues sur le modèle de la physique galiléenne.

    Une civilisation qui n’envisage plus la vie que comme une série de problèmes techniques et fonctionnels se voue elle-même à la mort.

    Au lendemain de l’effondrement du bloc soviétique, Michel Henry analysait philosophiquement cet effondrement dans son livre « Du communisme au capitalisme : théorie d’une catastrophe ». Et il montrait que l’Occident moderne était atteint de la même maladie mortelle. Que l’analyse qu’il proposait fût absolument pertinente ou non, il avait raison de rechercher une compréhension philosophique. Tout ce qui affecte l’homme devrait d’abord être envisagé en termes philosophiques. Notre vrai problème est de retrouver le réel, c’est-à-dire d’abord notre vie intérieure, qui est la source de toute activité humaine, mais que ni la technique ni l’économie politique ne peuvent voir. »

  • La troisième vague
    le mercredi 29 octobre 2008 à 14:47, Yuma a dit :
    Très bien ce papier, d’accord avec vous sur à peu près toute la ligne. Il me fait penser à celui de Bertrand Rothé sur la meilleure répartition des richesses. Il ne reste plus qu’à trouver le parti politique, ou l’homme ou la femme politique, qui le mettra en œuvre. Et là, c’est pas gagné.
  • La troisième vague
    le mercredi 29 octobre 2008 à 09:52

    Et la jubilation se poursuit :

    "Dans son dernier point de conjoncture, l’Insee prévoit même une remontée du chômage en fin d’année, de 7,2% à 7,4% de la population active."

    "Au demeurant, il s’agit d’un pronostic optimiste. L’Insee l’accompagne d’ailleurs de ce commentaire : « Cette prévision repose sur l’hypothèse que les turbulences financières ne s’aggravent pas et que les ménages et les entreprises ne doivent pas faire face à un durcissement trop marqué des conditions de crédits de la part des banques »."

    http://dechiffrages.blog.lemonde.fr/2008/10/28/les-emplois-aides-100000-de-plus-ou-866000-de-moins/

    On peut donc nager dans l’optimisme :

    « La volonté du Président de la République de « lever les tabous », en particulier à propos du travail le dimanche et de l’utilisation des CDD pour stimuler l’économie, sont à saluer. De même, l’accélération de la réforme du service public de l’emploi et son évaluation sont d’excellentes nouvelles » a déclaré Laurence Parisot, Présidente du MEDEF. Le MEDEF compte prendre toute sa part dans la mobilisation de tous les acteurs en faveur de l’emploi.

    Plus généralement, le Président de la République a fait la pédagogie d’une « politique économique de l’offre » dans l’intérêt et au service de tous, entreprises et salariés, tel que le MEDEF le préconise depuis janvier 2007*.

    http://www.medef.fr/main/core.php ?pag_id=130852

    "Imbécile" vous dites ? Non, moderne.

  • La troisième vague
    le mercredi 29 octobre 2008 à 09:31, Le petit naïf a dit :
    Excellent papier ! Kubrick avait anticipé et débordé , autant sur sa droite que sur sa gauche , par son extraordinaire " Orange mécanique " . L’Histoire réelle , pas plus que les théories débiles et inopérantes des économistes idiots des médias ( le trop fameux café du commerce Calvi ! ) , n’est cadrée et linéaire . Leur véritable doctrine , de plus en plus visible , débordant les salons où l’on pense sans panser : " Nous ne maîtrisons rien : feignons d’en être les organisateurs ! " . Cela ne dure qu’un temps . Le dernier mot revient quand même au grand Charles , sorte de Périclès des heures de peine tout autant que celui des heures de gloire et surtout contemporain et admirateur des Patton , Leclerc et Joukov , du Winston alcolo , du Staline comédien et du Roosevelt paralytique : " Gouverner , c’est d’abord donner des ordres ! " Et surtout donner des ordres à l’Histoire ! Mais comme cet article l’indique très bien à bon nombre de béotiens , là il faut une sacrée dimension quant à la maîtrise culturelle des données et à leur puissance onirique qu’elle se doit obligatoirement de dégager , et ce de façon absolument indispensable et irrévocable . La France , comme d’autres sans doute , porte en elle-même dans sa vieille mémoire les ressources de fer , de sueur , et de sang , qui font qu’elle s’attend au pire , et demeurant silencieuse , reste quand même prête à l’affronter . Rien à attendre donc de cette clique de Lagarde , de Dati , de ni putes ni soumises , de Laporte , de Bertrand , de ce cabinet à la Paul Raynaud , naviguant d’un château l’autre , où se rassemble dans un Hôtel d’Evreux soudain rapetissé brutalement un tout petit comité des défaites programmées et déjà vertement brinquebalé dans les prémices d’une déroute cette fois ouvertement visible . N’est pas un Thémistocle qui veut !
  • La troisième vague , à préciser
    le mercredi 29 octobre 2008 à 05:45, Ailleurs a dit :

    Bonjour

    Votre propos est intéressant, surtout la critique du libéralisme, mais il manque le mode de financement. Un raccourci gênant dans votre démonstration.

    Si vous savez le temps, pensez à argumenter la "réduction des marges et des hautes rétributions". Par exemple, à combien chiffrez-vous une haute rétribution ? En quoi les hautes rétributions sont-elles un problème ? En quoi leurs baisses apporteront une solution ? Surtout lorsque vous parlez d’y aller à fond sur la recherche. Les chercheurs se contenteraient-ils de peu ?

    Il est utile de rappeler que les sommes évoquées pour la relance sont essentiellement des prises de participations de l’état dans les sociétés en difficultés. Si le redressement est établi, la revente pourra même donner des plus values intéressantes, car le prix d’achat était au plus bas.

    Le soutient des salaires (que je ne conteste pas soit dit en passant) est lui à fond perdu ou presque : la TVA et l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques) en récupèreront une faible partie.

    Enfin, et c’est une idée que j’aimerai voir débattue, qu’en est-il de l’efficacité de l’argent publique ? Pour distribuer 100 (millions ou milliers), combien l’état doit-il prélever ? Ce calcul permettrait de justifier, ou non, la baisse des charges. S’il faut 150 pour redistribuer 100 d’aides nouvelles, autant baisser les prélèvements du secteur à soutenir de 50. "Nouvelles" est important car il faut trouver un financement.

    A trop vouloir conceptualiser sans prendre en compte le pratique, vous oubliez les fondamentaux : comment le faire ? C’est d’ailleurs toute la frustration d’un dirigeant : ce qu’il pense devoir faire pour la nation n’est pas ce qu’il a les moyens de faire. Cf. la politique d’austérité de la gauche française un an après l’élection de F Mitterrand.

    Bien à vous

    Ailleurs

    • La troisième vague , à préciser
      le mercredi 29 octobre 2008 à 09:15
      j’aime beaucoup le coté sentencieux du type qui se dit "je vais les calmer avec mes questions au look "pro""… sauf que ça fait surtout sourire et qu’on a envie de répondre doucement "un peu de morale ne ferait pas de mal, déjà"
    • La troisième vague , à préciser
      le mercredi 29 octobre 2008 à 10:04, picsou a dit :

      "les chercheurs se contenteront-ils de peu" ?

      Pour le moment, je vous rappelle qu’ils n’ont presque rien…Et parfois, rien du tout : les trois quarts des post-docs vivent grâce à des fondations, sur des bourses misérables. L’investissement de l’Etat français dans la recherche est RIDICULE, et la "fuite des cerveaux" est plus grave que celle des capitaux, car pour les capitaux, on pourrait, par exemple, saisir les biens des coupables !

      Cette smaine, on apprend que des chercheurs ont mis au point un coeur artificiel, et on applaudit … Ce truc, que des "pros" de l’argent qualifieraient d’anecdotique, a fait remonter la valeur de l’action EADS, impliquée dans sa conception et son éventuel brevet !

      Si vous savoir ce que sont les "hautes rémunérations", regardez la pyramide des salaires chez Carrefour (qui vient, du reste, d’être condamné) : de moins que le smic à 440 fois le smic.Ajoutez à cela leur défiscalisation partielle (statut des stock-options).

      Il est trop facile de dire que la récupération par l’IRPP est négligeable : si c’était le cas, cela ne vaudrait pas la peine de faire un bouclier fiscal ! les "rendus" du bouclier fiscal de cette année, ajoutés à l’effet des "niches fiscales" et à la "fraude tolérée", représentent… un tiers de l’actuel budget de la Recherche !

      Non, décidément, assez d’hypocrisie : si on ne fait pas payer les riches, de toute manière,comme il n’y a rien à tirer des pauvres et la clase moyenne est celle qui fait tourner la consommation, alors…

    • La troisième vague , à préciser
      le mercredi 29 octobre 2008 à 10:10, ToOmS a dit :

      "la TVA et l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques) en récupèreront une faible partie"

      Mais alors… qu’est-ce qu’une partie importante ?

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