La justice digère mal le fooding

Fooding ? Rien à voir avec le footing, recommandé pour perdre des kilos. Cette chose qui porte un nom que l’Académie réprouve, a été inventée par contraction des mots food et feeling (nourriture et émotions dans la langue de Shakespeare). C’est pourtant un journaliste français, Alexandre Cammas, qui a « créé » cette nouvelle voie de la bouffe au nom pas de chez nous, une marque déposée. Avec leur Fooding, les promoteurs de cette nouvelle voie de la bouffe attendent que les cuistots « se débarrassent des conventions traditionnelles de la cuisine ». Et que le Fooding « permette aux chefs de s’émanciper librement dans la modernité ou même la tradition ». Bref, c’est le Spartacus de la gamelle : brisons nos chaînes.

Bon. Et alors… Ces Guevara toqués prétendent également « cristalliser tous les courants gastronomiques actuels : world et fusion food, easy eating, street food, bistronomie, pour rompre avec une vision étriquée et souvent trop conservatrice du plaisir de la table, l’art de cuisiner et de manger dans certaines dispositions d’esprit (sic)  ». On ignore ce que signifie tout cela. Mais c’est la mode. Ces « foodeurs », leur état-major puisqu’il s’agit d’une guerre révolutionnaire, ont trouvé de généreux sponsors, des cuisiniers à la recherche du pain perdu mais aussi de notoriété (pourquoi pas). En été comme en hiver, ce « courant » (stream) a trouvé des adeptes. De sympathiques dégustateurs payants lecteurs aussi du Wine & Fooding, un guide annuel officiel édité en partenariat avec différents supports de presse. Ils ont même leur Bible, Fooding : le dico (Ed. Albin Michel, dans la collection de Claude Lebey, le patron du « Petit Lebey des bistrots de Paris »). De bouche à oreille, de bouche à bouche, le Fooding nous guette.

Fooding

© Morvandiau

Ce Fooding-là, et son fondateur, mais pas ses complices, viennent de constater que la justice française, si elle rigole avec les test ADN ou la rétention, ne plaisante pas avec le ragoût. Par un arrêt du 31 octobre 2007, la 4e Chambre Section A de la Cour d’Appel de Paris, considérant qu’entre autres, « à partir de l’année 2003 de nombreux articles de presse versés aux débats ont amplement fait usage de la dénomination Fooding…. Considérant que, selon les dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier tant à la société Fleury Michon Traiteur qu’à Joël Robuchon ; qu’il leur sera alloué à ce titre, à chacun d’eux, la somme de 5 000 euros. Prononce la déchéance des droits d’Alexandre Cammas sur les marques Fooding n° 003021054 et n° 033208534 pour désigner les produits et services visés aux dépôts… » Le droit est encore plus indigeste que le tordu. Bref le Fooding appartient à monsieur Fleury et à Madame Michon ainsi qu’à l’excellent Robuchon. « Bon appétit ».

Ce jugement n’a pas empêché ces premiers chrétiens du Fooding de persister dans leur œuvre. On ne fait pas la révolution sans casser des œufs. Avec l’aide, encore, de généreux et inlassables sponsors, les fidèles ont ouvert leur catacombe. C’était en ce mois de février, au Centre International de Deauville. Le petit nom du Fooding est désormais, si l’on a bien compris (attention voir encadré NDLR), l’Omnivore Food Festival (Off). Une trentaine de chefs français et étrangers étaient censés développer, en public, les nouvelles tendances de la table de demain. Vaste programme. À 80 euros le laisser passer d’une journée et 115 euros pour les deux jours, ce n’est pas cher payer pour rencontrer cette vérité qui se niche au fond des assiettes.