Malgré la crise, des entreprises roulent encore sur l’or… blanc. La discrète Compagnie des Alpes a su appliquer aux remonte-pentes la recette qui fait la richesse des sociétés d’autoroute.
Ceux qui ont la chance de skier l’ont certainement senti en payant des forfaits toujours plus chers. La neige est devenue une marchandise comme les autres et qui peut rapporter gros à ceux qui savent bien l’exploiter. Un coup d’œil sur les résultats « historiques » que la Compagnie des Alpes a publié mi décembre permet de s’en convaincre. Réconfortants comme un rayon de soleil perçant la grisaille ! La société a en effet dégagé sur 2007-2008 une rentabilité record de 37 % sur l’or blanc et un résultat net total de 36 millions d’euros ( + 29 % sur l’an passé). Et pour cette saison, les perspectives sont bonnes. La neige est là, les réservations aussi.
Peu connue des skieurs, la Compagnie des Alpes (qui exploite aussi le parc Asterix) est pourtant un acteur incontournable qui a pignon sur piste. C’est elle qui exploite 30 % des remontées mécaniques du domaine skiable français. La Plagne, Tignes, les Arcs, Meribel, Chamonix, Serre Chevalier entre autres font partie de ses fiefs. Récemment, elle a fait tomber Val d’Isère et Avoriaz dans son escarcelle. Au total, elle a fait cracher 344 millions d’euros de chiffre d’affaires à ses remontées mécaniques !
On le voit, la boîte a préféré miser sur le Neuilly ou le Ramatuelle de la neige plutôt que sur l’Aulnay sous Bois. Toujours enneigées car situées en altitude, ses stations sont fréquentées par une clientèle étrangère fidèle ( 40 % des skieurs sont étrangers) et au porte monnaie bien rempli. Car la Compagnie des Alpes aime les riches au risque d’importer sur les pistes la fracture sociale. Tous les ans, elle ausculte sa clientèle avec force études ( 60 000 questionnaires réalisés chaque année !) pour mesurer la taille de son portefeuille : 60 % gagnent plus de 3000 euros par mois. Et sur ce pourcentage, la moitié navigue à plus de 4500 euros. Exploiter un tire-fesse ou un tire-caisse, c’est presque le même métier…
Créée en 1989 par la Caisse des dépôts, la Compagnie des Alpes est vite devenue le numéro 1 mondial des remontées mécaniques, s’aventurant également en Suisse et en Italie. Le tout s’est accompagné d’une mue bien dans l’air de ces dernières années tout fric. La filiale de la Caisse est passée d’une société publique chargée d’aider les élus locaux à aménager la montagne à un groupe à pur vocation capitaliste. Côtée en bourse, la boîte a été privatisée en 2004, la Caisse n’en détenant plus que 40 %. Des banques ( Crédit Agricole, Banque Populaire…) des fonds d’investissements en ont pris des morceaux, le reste étant en bourse. Résultat, si le client skieur est roi, l’actionnaire l’est encore plus.
Tout à l’euphorie de leurs résultats historiques et avec une franchise proche de l’inconscience, les hommes en gris qui dirigent la Compagnie l’ont bien fait comprendre devant la presse mi-décembre. « On a réussi à augmenter comme jamais le rendement de l’action, le taux de redistribution est passé de 30 à 47 % et nous distribuerons cette année un dividende de 1 euro par action », se sont-ils félicités.
Avis aux actionnaires, l’avenir se profile bien. Car le nouveau président Dominique Marcel veut encore améliorer la rentabilité. La boîte va « ralentir le rythme des investissements » et, avis aux skieurs ! elle entend presser un peu plus ses clients comme des citrons. La boîte va tout faire qu’ils lâchent un peu plus de sous. Un gestionnaire de la boîte se frotte les mains. « Le ratio recette par journée de ski a progressé de 1,9 % à 24,9 euros. C’est un indicateur que nous travaillons beaucoup ». Autre perspective heureuse : « malgré la crise, 4000 nouveaux lits sont en construction dans nos stations, ce qui se traduira par un chiffre d’affaires additionnel », se félicite la direction. On imagine le tollé que provoquerait ce langage ultra capitaliste si la Compagnie des Alpes appartenait à Vinci ou à Veolia et non à la Caisse des dépôts. Mais grâce à l’étiquette de cette vénérable institution, tout glisse…
« A présent que de purs financiers ont pris les commandes, l’ambiance a changé dans les stations. Avant on avait affaire à des amoureux de la montagne maintenant ce sont des gens qui cherchent la rentabilité à tout prix », constate Antoine Fatiga, responsable des saisonniers à la CGT, syndicat majoritaire chez les perchistes. La gestion des pistes de ski n’est pas sans rappeler celle si critiquée des sociétés d’autoroutes. L’an passé la Compagnie des Alpes a augmenté ses tarifs en moyenne de + 2,7 à 2,8 %, cette saison c’est + 2,4 à 2 ,5%, à l’instar des réseaux autoroutiers. Et comme eux, elle a mis au point une grande trouvaille qui consiste à adapter le télépéage aux stations de ski. Avec un badge chargeable par internet (Holiski), le client a accès à une bonne partie des domaines skiables du groupe. « Avec Holiski, on maintient notre client sur le réseau et on intensifie sa consommation », se félicite ce dirigeant. Bien joué !
Une telle apprêté au gain commence à irriter les élus de montagne jusqu’à présent satisfaits des retombées de la taxe professionnelle. Mais avec ce badge imaginé dans leur dos, ils craignent de perdre à terme le contrôle des recettes des ventes de forfait jusqu’ici réalisées dans leurs stations. Les hommes en gris de la Compagnie des Alpes risquent aussi de réveiller les ardeurs de la Ligue Savoisienne, ce mouvement un peu folklorique qui réclame l’indépendance de la Savoie et de la Haute-Savoie. Elle a fait de la Compagnie des Alpes ( au même titre que la société du tunnel du Mont Blanc ) l’une des première cible à nationaliser, symbole du colonialisme parisien…
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