Inclassable et décapant, l’écrivain et journaliste Dominique Jamet a notamment collaboré à l’Aurore, le Quotidien de Paris et Marianne.
À travers le parcours de trois frères, c’est son histoire de l’Algérie que nous propose Rachid Bouchareb avec "Hors-la-loi", ce nouveau film qui s’inscrit très clairement dans la filiation d’"Indigènes".
L’illégitimité fondamentale, les injustices, les iniquités consubstantielles à l’ordre colonial, la spoliation, l’humiliation d’un peuple traité en étranger et en paria sur sa propre terre, les émeutes de Sétif et leur féroce répression, l’éveil d’une conscience nationale, la naissance du FLN, la lutte inégale de l’opprimé contre l’oppresseur, le sacrifice des militants, l’implacable élimination des « traîtres », l’héroïsme de résistants qui bravent la prison, la torture et la mort, la « ratonnade » du 17 octobre 1961, la marche inéluctable vers l’indépendance et le triomphe final, telle est la toile de fond de cette saga familiale dont la manière naïve n’est pas sans évoquer celle d’un Claude Lelouch.
Pourquoi pas ?
Mais le parti pris par Bouchareb exclut absolument une autre histoire, celle de l’enracinement, de l’autre côté de la Méditerranée, d’une autre civilisation.
Il ignore les espoirs nourris, les illusions entretenues, le drame vécu par le peuple pied-noir, le sursaut désespéré d’une communauté cyniquement abandonnée à son sort, hormis par quelques soldats perdus fidèles à leur parole, le massacre des harkis et, pour finir, le lamentable exode de plus d’un million de « rapatriés » après 130 ans d’Algérie française.
Quel romancier, quel cinéaste, quel juste nous contera les deux Algérie ? Unamuno disait à un général franquiste : « Une Espagne sans Catalogne et sans Pays basque serait comme vous, mon général, borgne et manchote. »
Une histoire de l’Algérie sans la France est une histoire hémiplégique, une histoire unijambiste.
Intéressante votre dernière phrase qui montre la centralité de la France dans la vision algérienne de l’histoire, alors que pour la France, l’Algérie n’est qu’une histoire périphérique (sauf pour comprendre l’échec de la IV République). Il me vient du coup à l’esprit que je ne comprends pas le consensus condescendant d’une certaine intelligentsia française pour décrier cette centralité dans l’approche algérienne du style : "pourquoi n’arrivent ils pas à passer à autre chose". PAr ailleurs, sur le fonds, on ne peut pas demander à l’Algérie de prendre en charge cette histoire des pieds noirs et des harkis, puisqu’en définitive, il ne lui a pas fallu seulement construire son projet national sans la France, mais également, et en grande partie du fait même des pieds noirs, sans ces derniers, voire carrément contre eux à l’été 1962.
Cordialement.
Rabah AIT MOUHOUB