Pourquoi les journaux du groupe Bolloré écrivent-ils des articles élogieux sur des chefs d’État africains en oubliant dictatures et violations des droits de l’Homme ? « Bakchich » a posé la question à des journalistes du groupe du meilleur ami industriel de Nicolas Sarkozy…
Lagardère, Bouygues, Dassault, Arnaud, Bolloré : tous grands patrons français, et tous propriétaires de grands journaux français… Nos hommes d’affaires, nos bâtisseurs d’empires industriels seraient-ils pris au piège d’une nouvelle ambition : la rage d’informer ? D’enquêter ? D’éclairer le citoyen sur le monde ?
Jean-Luc Lagardère, qui avait la rare qualité de ne pas intervenir sur le contenu des journaux et médias de son groupe de presse, expliquait sans se cacher l’intérêt pour lui, homme d’affaires, à posséder des journaux : « Quand je demande rendez-vous à un ministre, il me reçoit dans les huit ou quinze jours qui suivent. Mais il suffit qu’on l’interviewe dans un studio d’Europe 1 pour que je puisse boire le café avec lui sans délai ! ». On comprend mieux.
Francis Bouygues, Pierre Péan et Christophe Nick l’ont décrit dans leur bouquin L’Empire TF1, a été, lui, bien au-delà de cette petite ruse permettant de boire un petit noir avec ceux qui nous dirigent… Selon l’enquête des deux journalistes, la chaîne de télé a d’abord été conçue pour faire plaisir aux amis, le moyen de conquérir des marchés. Et, pourquoi pas, un outil pour fabriquer un futur président de la République.
Ce que Bouygues a tenté de faire avec Michel Noir mais a tourné au fiasco. LCI, l’autre chaîne de Bouygues, a elle été inventée pour remercier ou promouvoir les amis qui n’ont pas encore le niveau du 20 heures de TF1. Sur LCI on peut donc, sans choquer, présenter sous son meilleur jour un député qui monte, un expert qui dit les jolies choses qui conviennent. De la télé de proximité ! Et faute d’avoir inventé Sarko, Martin Bouygues est, lui, le parrain de Petit Louis, le dernier fils du président.
Vincent Bolloré, ce grand civilisateur de l’Afrique, a suivi le chemin de Bouygues. Ses médias, le journal gratuit Direct Matin ou sa chaîne de télé « Direct Huit » n’ont pas été lancés pour informer. Mais pour plaire aux amis. Ses médias sont une tête de gondole, un prix d’appel. Qu’un président africain, son client, débarque en France et il devient le héros de ses pages, de ses écrans. Pas grave que personne ne regarde ou ne lise, la vanité du client est comblée : il est passé à la télé !
Exemple ? Le 26 octobre 2007, le journal gratuit de Bolloré Matin-Plus, devenu récemment Direct Matin, couvrait d’une manière très particulière, unique, même, la visite à Paris du président camerounais Paul Biya, dont le pays ouvre grand les bras aux affaires de Vincent Bolloré. Pour découvrir comment, cliquez sur cette photo de Vincent Bolloré.
Petite parenthèse pour finir d’illustrer l’usage que l’on peut faire d’un journal pour améliorer ses relations publiques avec des présidents africains. Quand je travaillais dans de grands journaux français que je ne citerai pas ici, j’ai vu des journalistes employés dans ces journaux mais qui pigeaient aussi chez Bolloré, se transformer pour ce dernier en attachés de presse. Ils essayaient de convaincre le titre pour lequel ils étaient payés au mois, de consacrer un sujet à l’immense Sassou Nguesso ou à l’incontournable Omar Bongo… Qui ne tente rien n’a rien.
"Pourquoi les journaux du groupe Bolloré écrivent-ils des articles élogieux sur des chefs d’État africains en oubliant dictatures et violations des droits de l’Homme ?"
Et pourquoi les journaux gratuits de province associés à Matin Plus n’ont-ils pas publié cet article ?
Les industriels cherchent peut être à faire passer leurs opinions via leurs média.
Mais d’une certaine manière, le retournement du discours de la presse vis-à-vis de Sarkozy, montre bien qu’ils cherchent avant tout la rentabilité financière.
Un autre exemple de la relation particulière de Direct Matin avec les dictateurs africains est apparu la semaine dernière. Une interview de Bongo dont les réponses sont plus impertinentes que les question ! Avec un gros oubli : le problème du renvoi de son poste de secrétaire d’État à la coopération de JM Bockel, sur injonction de Bongo, Sassou et Biya.
Une remarque au passage : à mes yeux, la presse pseudo-gratuite, ça aboutit immanquablement à ça.