Invité au Salon International du Livre d’Alger, les 1er et 2 novembre, j’ai été interrogé sur l’image du monde musulman dans les médias occidentaux. Je citais un sondage qui venait d’être publié par le Journal du Dimanche selon lequel les Français étaient prêts à voter pour un Noir à la Présidence de la République à 82%, pour un Asiatique à 72%, mais seulement pour un peu plus de 50% pour un Arabe ou un musulman. Ce sondage, tout en montrant l’ouverture d’esprit des citoyens français, prouvait néanmoins qu’il y avait une différenciation d’appréciation. Dans ce que l’on appelle les représentants de la diversité, les Arabes et/ou musulmans étant jugés moins positivement.
J’indiquais qu’il y avait plusieurs facteurs qui venaient expliquer ce traitement particulier : l’héritage de la guerre coloniale en Algérie, les effets de l’exportation du conflit du Proche-Orient en France, du 11 septembre et, enfin, les problèmes d’intégration.
Les échanges ont été de bon niveau, même si, à quelques reprises, j’ai dû répondre aux sempiternelles questions sur le complot ou sur l’existence d’un lobby juif qui expliquerait cette mauvaise image du monde musulman. J’ai réfuté ces théories du complot qui n’expliquent rien. J’ai indiqué qu’il y avait plutôt des préjugés, des idées reçues, qui expliquaient cela, sans qu’il y ait besoin d’un complot. Il ne faut jamais sous-estimer les a priori, le manque d’information et les réflexes répétitifs. Quant à l’existence du lobby juif, j’ai indiqué à celui qui m’avait posé la question que cela ne voulait rien dire. Si on prend par exemple le conflit israélo-palestinien, les juifs français ont des avis partagés sur la question. Il y a ceux qui défendent coûte que coûte le gouvernement israélien sur sa politique à l’endroit des Palestiniens, d’autres qui, au contraire, même minoritaires, sont à la tête de mouvements pro-palestiniens et qu’entre les deux existe une grande variété de positions.
J’indiquais que les médias avaient leur part de responsabilité en produisant une image globalement négative des Arabes et musulmans, trop souvent présentés comme source de problèmes (terrorisme à l’extérieur, délinquance à l’intérieur), que comme un atout pour la France. J’évoquais l’exemple de cette Française qui voulait récupérer ses enfants au Canada et qui a séjourné plusieurs semaines en prison. La presse l’a traitée comme une affaire privée douloureuse. Si au lieu d’avoir été mariée à un Canadien, elle l’avait été à un Algérien, l’affaire aurait fait chaque jour la Une et serait devenue sociétale.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’on me signala, un peu plus tard, qu’un journal algérien de langue arabe m’attribuait des propos hallucinants sur la dénonciation d’un complot juif et me faisait dire l’inverse de ce que j’avais exprimé, ou encore m’attribuait des réponses à des questions qui m’avaient été posées, qui ne sont pas de moi. Peu après le site de l’Union des patrons et des professionnels juifs de France (UPJF), reprenait tel quel ce journal arabe pour s’en indigner et parlait d’une « nouvelle affaire Boniface ». Elisabeth Lévy reprenait les mêmes arguments assortis du fiel qui est sa marque de fabrique. Mohamed Sifaoui en faisait autant le même jour.
Ceci suscite un certain nombre de réflexions. Si les propos que me prête ce journal en langue arabe avaient été réellement tenus, il n’aurait certainement pas été le seul à en rendre compte, au vu des nombreux journalistes et de l’important public présents à la conférence. Ce « journaliste » a publié non pas ce qu’il a entendu, mais probablement ce qu’il pensait. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas eu un comportement professionnel et a fait de la désinformation.
Mais l’UPJF, Elisabeth Lévy et Mohamed Sifaoui ont repris à leur compte cette affirmation sans même penser à me contacter pour savoir si je confirmais ou démentais ces propos. On peut d’ailleurs s’étonner du crédit qu’ils portent à ce journal en langue arabe dont on peut supposer que, d’ordinaire, ils ne tiennent pas ce qui y est publié comme vérité absolue ! Qu’Elisabeth Lévy, qui se prétend journaliste, qui de plus veut s’ériger en juge critique des médias, ne prenne pas la peine de vérifier auprès de l’intéressé les affirmations d’une source dont la fiabilité est douteuse, en dit long sur son absence totale de déontologie. Aux Etats-Unis, un journaliste agissant ainsi serait disqualifié professionnellement. Quant à Mohamed Sifaoui, sa réputation de désinformateur n’est plus à faire, entre son infiltration bidon au sein d’Al-Qaïda et le restaurant asiatique détruit parce que, selon lui, les restes d’une enfant disparue s’y trouvaient ; mais ce n’est pas sur le fond que je suis en désaccord avec Sifaoui, c’est sur ses méthodes de faussaire.
On voit dans cette affaire que les extrémistes des deux camps se rejoignent pour semer la discorde et la haine. Le premier camp pour faire croire au lectorat arabe qu’il y a un complot organisé par les juifs contre eux. La preuve, étant qu’un intellectuel non-musulman le dit lui-même. L’autre camp, pour susciter la peur chez les juifs et créer, ou agrandir un fossé, entre ces derniers et les autres.
A un moment où le climat intellectuel en France devient plus serein, que le conflit du Proche-Orient produit moins d’affrontements passionnels en notre République, il est regrettable que certains veuillent fabriquer des polémiques à partir de désinformation. Ceci me rappelle l’affaire Balkans.info – pour laquelle j’ai remporté le procès en diffamation – qui m’avait également attribué des propos antisémites lors des Rendez-vous de l’histoire de Blois. Lorsque « l’informateur » de ce journal s’est présenté à l’audience, le parquet a demandé son expertise psychiatrique : la personne avait en effet un comportement incohérent et avait été manifestement instrumentalisée.
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