Pourquoi la frontière, dessinée en 2002, n’a toujours pas été démarquée
Sur les mille kilomètres de la frontière érythréo-éthiopienne, nul signe du moindre pylône de démarcation. Seuls quelque 2.000 casques bleus patrouillent cette zone qualifiée par l’Onu de « tendue ». Pourtant le tracé a été dessiné par une commission indépendante il y a plus de quatre ans, en avril 2002.
Comment en est-on arrivé là ? En 1993, au bout de trente ans de guerre pour obtenir son indépendance de l’Ethiopie, l’Erythrée devient le dernier-né des pays africains. Mais seulement cinq ans après, un nouveau conflit éclate entre les deux voisins de la Corne d’Afrique. Bilan : 80 000 morts entre 1998 et 2000. Officiellement, la guerre portait sur la question de la frontière qui n’avait jamais été démarquée. Les vraies raisons étaient plus enfouies : certains en Ethiopie n’avaient jamais digéré l’indépendance de leur ancienne province. Une indépendance qui retirait de facto tout accès à la mer Rouge à leur pays, près de dix fois plus grand en superficie, et peuplé de 70 millions d’habitants contre 4 millions en Erythrée.
En 2000, un accord de paix est signé : les deux pays s’engagent à respecter le tracé qui sera fixé par une commission indépendante. Celle-ci décide d’attribuer Badme, un village désertique sans ressources mais point de départ du conflit, à l’Erythrée. Colère d’Addis-Abeba qui, depuis 2003, refuse cette décision. Et demande une renégociation de certains points du tracé. Ce que refuse Asmara, qui souligne que le tracé est « final et obligatoire », selon l’accord de paix. D’un autre côté, une démarcation rapide permettrait une réouverture de la frontière et donc un rétablissement des échanges commerciaux. L’Ethiopie peut s’en passer, mais pas l’économie enclavée et en crise de l’Erythrée.
Alors pourquoi tant d’intransigeance de la part de l’Erythrée, nation régulièrement clouée au pilori pour sa situation des droits de l’homme par des organisations comme Amnesty International ? Sur place à Asmara, beaucoup d’Erythréens et de diplomates occidentaux expliquent qu’en réalité le gouvernement, contrairement à la population, n’a pas hâte de voir la frontière démarquée. Car actuellement l’absence de démarcation sert dans la bouche des autorités de bouc émissaire à tous les maux du pays – répression politique et crise économique. Par exemple, le service national sous-payé d’une durée de plusieurs années (qui pousse des milliers de jeunes à risquer leur vie pour fuir le pays) est justifié par la situation ambiante de « ni guerre ni paix »… due évidemment à « l’absence de démarcation ». Un service national qui permet surtout un encadrement plus que strict de la population. Si en Erythrée la frontière est le sujet sur toutes les lèvres, en Ethiopie ce n’est qu’un problème parmi d’autres, et non l’urgence prioritaire. Comme aucun des gouvernements n’est pressé de résoudre la question, nombre d’observateurs ne voient pas la frontière être démarquée rapidement. Le reste du monde, qui sait rarement placer l’Erythrée sur une carte, s’en contrefiche. Pas les quatre millions d’Erythréens qui savent que l’absence de frontière continuera à servir d’alibi à leur gouvernement pour les contrôler d’une main de fer.