Danemark, deuxième vague

Après l’annulation d’ Idoménée de Mozart par le Deutsche Oper de Berlin par crainte d’attentats islamistes, après la controverse de Ratisbonne déclenchée par Benoît XVI, celle-ci ayant trait à la nature belliciste du jihad, et après la leçon de haute philosophie de Robert Redeker, consacrée à sa propre médiocrité, les Danois remettent le couvert.

Vendredi dernier la chaîne de télévision publique TV2 a diffusé une vidéo présentant le prophète Mahomet sous les traits d’un chameau buvant de la bière et d’un terroriste ivre s’apprêtant à attaquer Copenhague. Problème : cette séquence émane d’une formation d’extrême-droite qui fait partie de la coalition de centre droit dirigée par le Premier ministre Anders Fogh Rasmussen.

L’Iran a aussitôt convoqué l’ambassadeur du Danemark pour « condamner fermement cette grave insulte ». Le président Mahmoud Ahmadinejad a saisi cette opportunité pour brocarder toute « l’étendue de la faiblesse et de la bassesse des régimes et des partisans du libéralisme occidental ».

Des manifestations ont eu lieu à Téhéran et en Indonésie. Plusieurs dignitaires religieux sont intervenus sur la chaîne de télévision qatariote Al-Jazeera afin d’appeler à un nouveau boycott des produits danois. Au Caire, la Confrérie des Frères musulmans a, également lancé une campagne de destruction de produits venus du Nord… Il y a tout juste un an, une série de dessins caricaturant le prophète avait été publiée par le journal populiste Jyllands-Posten, provoquant l’ire du monde arabo-islamique et un premier boycott commercial estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros.

Le choc des civilisations n’est pas inéluctables, mais certaines puissance mettent du cœur à l’ouvrage pour le fabriquer

Echantillons de la médiocrité des temps, ces affaires, en se multipliant, manifestent autant de symptômes d’une dérive des continents, sinon des civilisations. Certes, ces affaires sont, la plupart du temps, instrumentalisées afin de nourrir les grands récits de victimisation. Mais à qui la faute ?

Plutôt qu’une confirmation de la thèse loufoque du « choc des civilisations » du politologue non moins loufoque Samuel Huntington, elles nourrissent ou plutôt elles fabriquent les frustrations légitimes de la mauvaise gestion, sinon de la non-gestion des crises internationales au premier rang desquelles le conflit israélo-palestinien, la guerre et l’après-guerre d’Irak, ainsi que la dernière guerre du Liban. Evidemment, le choc des civilisations n’est pas inéluctable, mais certaines puissances occidentales mettent du cœur à l’ouvrage pour le fabriquer.

Plus que toute autre, on a certainement sous-estimé la portée de la guerre anglo-américaine en Irak. Un rapport récent de l’administration Bush affirme désormais très officiellement que le monde n’est pas plus sûr depuis la chute de Saddam Hussein et qu’il y a plus de terrorisme aujourd’hui, suite à l’intervention militaire de Londres et Washington. Cette guerre qui s’est faite en contournant le Conseil de sécurité des Nations unies a certainement renforcé le sentiment du « deux poids deux mesures » des consciences arabes face à une réalité très abrupte, à savoir qu’on bombarde massivement et démantèle méthodiquement un pays accusé de violer le droit international alors que l’État israélien voisin n’a jamais appliqué la moindre des quelques quatre cents résolutions du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et de la Commission des droits de l’homme de l’ONU concernant le conflit israélo-palestinien.

Encore plus que l’occupation et la colonisation israéliennes, l’intervention militaire en Irak, principalement menée par les États-Unis et la Grande-Bretagne au nom des valeurs occidentales est perçue par les opinions arabes comme une occupation étrangère durable, sinon comme une nouvelle agression occidentale en terre arabo-islamique.

Par le biais des télévisions satellitaires, d’Internet et d’une presse écrite beaucoup plus diversifiée qu’on veut bien le dire, sont quotidiennement dénoncées les nouvelles entreprises coloniales, mandats et autres protectorats « démocratiques » mis en œuvre par le couple George Bush/Tony Blair et avalisés par la majorité des pays européens et occidentaux.

On revient au choc, sinon à la guerre des civilisations par d’autres chemins…