Chaque semaine, Jacques Gaillard ouvre son dico perso et taille un costard aux mots à la mode.
DERAPAGE. n.m Canonique
En vue des élections, la vie politique est verglacée, gare aux dérapages. Surtout quand on donne des coups de volant, à droite et à gauche : quand il y a du tangage dans l’idéologie, on voit partout de grosses conneries dans les petites phrases. Certaines, vite oubliées, sont habilement stockées puis ressorties au bon moment : ainsi ce citoyen qui fête l’anniversaire de Sarko en brandissant, sur un panneau, l’impérissable « casse-toi, pauv’ con ! » ou la frêcherie archivée pendant un mois par un hebdo jusqu’à la veille de la campagne électorale.
Mais il n’est pas certain que les pires chauffards aillent au fossé à force de déraper : les horreurs de Le Pen ont eu peu d’effet sur ses scores, on continue à parler couramment de « racaille » (voire de « caillera »), et les nettoyeurs à haute pression n’ont pas changé de marque. L’ennui, avec les dérapages, c’est qu’on peut en entendre des tonnes chaque jour au bistrot, au boulot, dans la rue, et en plus, personne ne les remarque.
Ces vannes ne sont calamiteuses que dans la bouche des politiques : bien fait pour eux, quand on est sur l’estrade, on se surveille, mon bon ! Sinon, la presse, la Licra, Lefebvre, Emmanuelli, tous les champions du bon goût te voleront dans les plumes et tu n’auras plus qu’à « rétropédaler ».
Rappelons qu’en rétropédalant, on ne recule jamais, on freine – et encore ! – si le vélo est hollandais. Au fait, les grands amateurs de ce verbe imagé ont-ils réalisé qu’on pouvait, avec quelque mauvais esprit, lui trouver des consonnances homophobes ? Il y a deux lustres, ce sont les mêmes rhéteurs de presse qui, à propos de la reine d’Angleterre, parlaient non sans élégance d’annus horribilis. Et quand on sort trois numéros « spécial francs-maçons » par an, cela sent-il bon ?
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