Chaque semaine, Jacques Gaillard ouvre son dico perso et taille un costard aux mots à la mode.
IDENTITÉ, n. f. : voir « papiers »
On sent bien que le débat sur l’identité française est piégé, mais pas comme certains le clament : on imagine mal qu’il aboutisse à une nuit de la Saint-Barthélemy éliminant tout ce qui ne porte pas le béret, ne boit pas de pastis, ne mange pas de saucisson et ignore les paroles de la Marseillaise.
En revanche, ce débat est piégé en ce qu’il paraît forcément mettre en cause des différences culturelles, religieuses, ethniques – ce qui est vain, puisque, chacun le sait, les races n’existent plus, les religions sont une peste et la culture un concept aussi flou que la syntaxe des rappeurs. Bref, on nous invite à parler poliment de la couleur des peaux et du drapeau.
L’identité française, ce n’est pas forcément cela. Car rien de tout cela n’est marqué, justement, sur notre carte d’identité. Ni la couleur de peau (alors qu’aux Etats-Unis, on est noté « caucasien » quand on est blanc), ni la religion (la Grèce et la Pologne ont rechigné à ne plus l’afficher), ni les préférences sexuelles (qu’il vaut mieux cacher dans tous les pays musulmans lorsqu’on n’est pas hétéro ou sultan).
L’identité française, de nos jours, c’est se culpabiliser pour la première croisade, et sûrement pas célébrer la prise de la smala d’Abd-el-Kader (les Anglais, eux, ont encore des « régiments Indiens »).
L’identité française, c’est peut-être, justement, une conscience historique très critique qui nous fait approuver l’Edit de Nantes et regretter sa révocation, dénoncer la Terreur en oubliant une Révolution qui a inventé la citoyenneté moderne, traiter Napoléon comme un monstre (les autres pays, anglais compris, n’en reviennent pas !), ruminer sans fin la collaboration et refuser, par la laïcité, la référence identitaire, évidente pour quasiment tous nos voisins, d’une religion prééminente.
Mais on peut aussi dire qu’être français, c’est tout simplement payer ses impôts. Oui, l’égalité devant l’impôt est au coeur de notre identité politique, c’est le socle de la république, le ciment de notre communauté civique.
Que ceux qui, grâce au bouclier fiscal, soustraient une part de leur fric à la CSG lèvent la main. Que ceux qui ont des hypermarchés en France mais vivent en Belgique lèvent la main. Que ceux qui font de matches ou des concerts en France mais sont résidents suisses lèvent la main. Votre carte d’identité française, on vous la rendra quand vous aurez payé.
Cela nous économisera deux ou trois emprunts, et un débat en trompe-l’oeil.